Les actes de dénigrement ou de concurrence déloyale impliquent nécessairement un préjudice.
La Cour de cassation a rendu le 15 janvier 2020 un très important arrêt - de cassation - qui concerne notamment la question du préjudice résultant d’actes de concurrence déloyale ou de dénigrement.
L’affaire opposait deux célèbres enseignes de pizzerias, Speed Rabbit Pizza et Domino’s Pizza. A l’origine, Speed Rabbit se plaignait de plusieurs pratiques commises par son concurrent, comme le non-respect de délais de paiement ou des prêts accordés par Domino’s à ses franchisés au mépris de dispositions légales. Speed Rabbit considérait que ces agissements étaient constitutifs, à son encontre et de ses franchisés, d’actes de concurrence déloyale.
Domino’s contestait ces griefs et, à titre reconventionnel, se plaignait pour sa part du comportement de son concurrent, qui évoquait publiquement les malversations qu’elle aurait commises et, de manière générale, critiquait son enseigne à mots à peine voilés. Par exemple, lors d’un salon de la franchise, Speed Rabbit Pizza avait diffusé un questionnaire conduisant à des réponses « nécessairement péjoratives » vis-à-vis de Domino’s. La liste des propos litigieux est à cet égard assez impressionnante et constitue une sorte de référence de ce qu’il ne faut pas faire si l’on ne veut pas tomber dans le dénigrement !
Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 25 octobre 2017 avait à la fois rejeté les demandes de Speed Rabbit Pizza mais condamné cette dernière pour dénigrement… à hauteur de 500.000 euros de dommages et intérêts, outre 50.000 euros d’indemnité de procédure (article 700 du Code de procédure civile) ! Un montant rarement atteint (sachant qu’en première instance, Speed Rabbit avait également perdu et avait été condamnée à… plus de 487.000 euros d’article 700 - sic).
Speed Rabbit et Domino’s avaient toutes deux formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cet arrêt et la décision rendue en formation de section par la Chambre commerciale de la Cour de cassation mérite l’attention notamment en ce qu’il oppose à chacune des deux parties la « présomption de préjudice » qui existerait en matière de concurrence déloyale et de dénigrement.
Ceci signifie que, lorsque des actes de concurrence déloyale ou de dénigrement sont constatés, alors celui qui en est la victime doit pouvoir obtenir une indemnisation (quasi) systématique.
Cette présomption n’est pas nouvelle et a été affirmée par la Chambre commerciale dès les années 1990 (par exemple, Cass. Com., 9 février 1993, n° 91-12.258). Mais il s’agit d’une présomption simple, qui peut être renversée par la preuve de l’absence de préjudice… et qui est très critiquée en doctrine, à telle enseigne qu’il est jusqu’à présent assez difficile de l’invoquer. Son existence n’était jusqu’ici pas absolument certaine.
Ici, concrètement, la Cour de cassation rejette le pourvoi de Speed Rabbit en ce qu’il reprochait à la Cour d’appel de l’avoir condamnée à payer 500.000 euros de dommages et intérêts pour dénigrement. Selon l’arrêt, la Cour pouvait valablement fixer le montant des dommages et intérêts en vertu de son pouvoir souverain d’appréciation, en ces termes : « l’arrêt énonce à bon droit qu’il s’infère nécessairement un préjudice d’un acte de dénigrement ».
Et cette même règle est ensuite opposée à Domino’s, de manière d’ailleurs très originale. En effet, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au motif qu’il n’avait pas recherché si l’octroi de délais de paiement et de prêts illicites n’étaient pas de nature à avantager déloyalement les franchisés de Domino’s, au préjudice des franchisés de Speed Rabbit. L’arrêt aurait pu s’arrêter là, la cassation s’imposait. Pourtant, la Cour de cassation va plus loin et évoque explicitement la même présomption de préjudice, de manière symétrique à l’affirmation très forte ci-dessus : « il s’infère nécessairement un préjudice d’un acte de concurrence déloyale ».
Le principe est donc ouvertement, explicitement posé, au sein d’un arrêt de cassation qui ne passera pas inaperçu. Elle intervient alors que la Cour de cassation semble procéder à une évaluation de sa propre jurisprudence au regard, notamment, des critiques doctrinales dont elle fait l’objet. Voici donc un arrêt qui fleure bon la pizza et qui devrait être apprécié à sa juste valeur… comme une pizza à l’ananas.