Une société d’architectes déboutée de son action en contrefaçon de droit d’auteur, faute de preuve
Chacun sait qu’un immeuble, comme toute construction architecturale, peut faire l’objet d’une protection par le droit de la propriété littéraire et artistique si sa forme est originale, conformément aux règles applicables en la matière. Cela signifie que l’immeuble doit porter l’empreinte de la personnalité de son auteur, l’architecte, maître d’oeuvre. Et c’est la raison pour laquelle nombre d’immeubles portent le nom de leur architecte sur leur façade, conformément à leur droit moral.
Cette protection peut bien entendu s’appliquer également aux maisons individuelles, à supposer qu’elles présentent suffisamment d’originalité. Dans une telle hypothèse, les plans et dessins de l’architecte sont eux-mêmes protégés contre la copie et le titulaire des droits peut - en théorie - s’opposer à leur reprise par un tiers. Encore faut-il rapporter la preuve des droits en cause.
Dans l’affaire tranchée par la Cour d’appel de Rennes le 22 octobre 2019, un litige était né entre les propriétaires d’une maison individuelle et une société Conseil Habitat, aujourd’hui en liquidation judiciaire, naguère une société d’architectes. A l’origine, les propriétaires étaient venus consulter Conseil Habitat pour qu’elle réalise les plans de leur future maison, mais il semble que la proposition de cette société n’avait pas été acceptée et que les clients s’étaient adressés à une autre société.
Conseil Habitat fut alors surprise, plusieurs mois plus tard, de constater que la maison reprenait, selon elle, les plans qu’elle avait proposés.
S’en suivit une action en contrefaçon de droit d’auteur, qui aurait pu aboutir, en théorie, à condition bien entendu pour Conseil Habitat de rapporter la preuve de ses droits sur les plans en question. Sur ce sujet, l’arrêt rappelle avec justesse qu’une personne morale peut bien être titulaire de droits d’auteur, même si elle n’a pas elle-même la qualité d’auteur. Il est exact que l’auteur d’une oeuvre peut céder ses droits, le cessionnaire devenant alors titulaire des droits d’auteur… sans pour autant être auteur !
Mais la titularité des droits peut aussi résulter d’une présomption, tirée de l’exploitation non équivoque de l’oeuvre par une personne morale, présomption que la jurisprudence fonde généralement sur l’article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle relatif à l’oeuvre collective. Cette présomption suppose donc à tout le moins une preuve d’exploitation de l’oeuvre. Or, dans cette affaire, la société Conseil Habitat s’est révélée incapable de rapporter la preuve d’une telle exploitation, pas même d’une simple divulgation de l’oeuvre.
En effet, alors qu’elle alléguait avoir transmis les plans de la maison par e-mail, elle ne produisait pas les pièces jointes ! Selon l’arrêt, « le message du 12 janvier 2011 fait état de pièces jointes correspondantes à des plans et perspectives 3D, mais il n'est pas justifié quels sont les plans et perspectives qui auraient été ainsi joints et encore moins qu'il se soit agit des plans et esquisses pour lesquels la société Conseil Habitat revendique la titularité d'un droit d'auteur. Il n'est donc pas justifié d'une exploitation de ces plans et esquisses. »
Curieux problème de preuve, donc, qui empêche évidemment le demandeur à l’action en contrefaçon d’obtenir gain de cause. Dans cette affaire, il n’a même pas été possible de comparer les plans initiaux avec la maison telle que réalisée. Parfois, une affaire se décide sur certains détails, loin d’être anodins. Et il est vrai que revendiquer des droits d’auteur sur une oeuvre dont on n’est pas en mesure de rapporter la preuve de l’existence peut paraitre périlleux.