Candia condamnée pour "concurrence parasitaire" au préjudice de Lactel
Le Tribunal de commerce de Paris a rendu le 14 décembre dernier, dans le cadre d’une procédure dite à “bref délai” (donc au fond, mais rapide), une intéressante décision, particulièrement étayée, en matière de concurrence déloyale et, plus spécifiquement, de parasitisme économique.
L'affaire opposait les deux géants de l'industrie laitière, Lactel d'une part et Candia d'autre part.
La société Lactel commercialise depuis l'an 2000 une gamme spéciale de lait sans lactose sous la dénomination "Matin Léger". Elle reprochait à son concurrent Candia d'avoir lancé en avril 2020 une gamme similaire sous le nom "Doux et Léger", estimant qu'elle s'inspirait trop de ses propres produits, en particulier ses codes visuels et sa structure graphique.
Sur un plan anecdotique, relevons que Candia soulevait la nullité de l'assignation à bref délai au motif que l'acte n'avait pas été délivré par un "huissier audiencier". Elle se référait à cet égard à l'ordonnance ayant autorisé la procédure de bref délai, qui aurait imposé, de manière exceptionnelle, que la délivrance soit le fait d'un huissier spécial près le tribunal de commerce. Cependant, le Tribunal a relevé fort justement que "la nullité dont se préva[lait] Candia [n'était] pas prévue par la loi" et que le demandeur avait le choix de l'huissier de justice. De même, le Tribunal a rejeté l'argument fondé sur l'absence de recherche d'une solution amiable préalable au contentieux, en indiquant que cette obligation issue du Code de procédure civile ne concernait pas les procédures au commerce.
Sur le fond, le Tribunal relève que la marque "Matin Léger" de Lactel bénéficie d'une renommée "très importante". Lactel justifiait avoir investi près de 22 millions d'euros depuis 2000 pour promouvoir sa gamme dans les médias.
Or la gamme "Doux et Léger" de Candia, lancée quelques mois plus tôt et directement concurrente de "Matin Léger", ressemblait visiblement un peu trop aux conditionnements de sa concurrentes. Le Tribunal a ainsi relevé les "fortes analogies" entre les emballages, notamment la position des marques, les couleurs, la forme des textes.
Voici les visuels en cause :
Le Tribunal en a déduit que "la reprise de ces éléments dans leur ensemble" traduisait une "concurrence parasitaire" :
"Candia a repris les codes visuels et la structure graphique des emballages de la gamme "Matin Léger" pour s'en rapprocher et se glisser ainsi dans le sillage de Lactel et de bénéficier des investissements réalisés pour une gamme de produits déjà installée sur le marché depuis de nombreuses années."
Sur le plan probatoire, Lactel justifiait de ses investissements en matière de packaging, tandis que Candia évoquait une somme globale qu'il n'était pas possible de ventiler. Le Tribunal en a déduit qu'elle avait économisé des "frais importants".
En conclusion, le Tribunal rappel qu'il s'infère nécessairement d'un acte de parasitisme un trouble commercial constitué de la perte de parts de marché, des économies d'investissements, de la limitation de l'aléa commercial et d'un préjudice moral et d'image. En l’occurrence, Lactel a produit des relevés comptables démontrant une chute de parts de marché à compter du lancement de la gamme concurrente de Candia, ce qui manque parfois dans ce type de procédure.Candia a été condamnée à payer à Lactel une somme de 58.720 euros de dommages et intérêts.
En outre, Candia s'est vue interdire de poursuivre la commercialisation des produits litigieux sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard. Elle a été contrainte de procéder au rappel auprès des distributeurs des emballages et blisters de protection des packs et bouteilles, ce qui se révèle généralement assez compliqué en pratique, les détaillants n'appréciant pas de perdre des ventes.
Voici donc une décision relativement classique mais qui a le mérite de s'appuyer sur des éléments probatoires étayés. Un jugement probablement indigeste pour Candia !