Cession implicite de droits d’auteur : la Cour d’appel de Bordeaux en précise les conditions
En principe, la cession de droit d’auteur répond à un formalisme particulièrement rigoureux, énoncé aux articles L. 131-2 et L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle, qui exigent à la fois que soit régularisé un écrit et que ce document précise le contenu et les contours de la cession, à savoir les droits cédés, la destination, le territoire de la cession et sa durée.
Depuis plusieurs années, la jurisprudence tente de s’affranchir de ce formalisme impératif, en considérant notamment que l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle ne concernerait que les contrats conclu avec des auteurs personnes physiques et qu’à rebours, dans certains cas, la cession pourrait être implicite.
Ce courant jurisprudentiel reste toutefois minoritaire et, par prudence, il restait jusqu’ici préférable de formaliser des cessions précises de droits d’auteur, y compris entre sociétés, afin de limiter le risque de réclamation. Cela étant, un arrêt récent de la Cour d’appel de Bordeaux vient apporter de l’eau au moulin de la jurisprudence sur la cession implicite.
L’affaire opposait une société spécialisée dans le conseil en packaging à l’un de ses clients, qui lui avait confié la création d’un univers graphique pour des bouteilles de spiritueux commercialisées sous diverses marques. Après une vingtaine d’années de collaboration, un différend est survenu entre les parties, à la suite d’une mise en concurrence de l’agence.
C’est alors que le prestataire a réclamé une cession en bonne et due forme de ses droits d’auteur sur les créations réalisées pendant toute la période de collaboration, ce que le client a refusé. En effet, la société spécialisée dans les spiritueux estimait qu’il aurait résulté de la nature des commandes et de la connaissance, pour l’agence, de la destination des travaux, que les droits d’auteur sur les créations avaient fait l’objet de cessions tacites, non formalisées.
Sur ce point, la Cour d’appel de Bordeaux, par un arrêt du 11 janvier 2024, raisonne en deux temps :
D’une part, elle considère que, si l’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle exige un écrit en matière de cession de droits de propriété intellectuelle, la preuve reste libre entre commerçants, ce qui, a priori, procède d’une confusion entre écrit ad validitatem et écrit ad probationem ;
D’autre part, elle estime que l’article L. 131-3 ne s’appliquerait qu’aux relations entre l’auteur et son cocontractant direct et non aux relations entre deux commerçants. Ce qui signifie d’ailleurs qu’une personne physique auteure et commerçante pourrait également être dispensée de respecter ce formalisme.
C’est ainsi que, sur le fond, la Cour retient que les rapports entre les deux sociétés démontreraient l’existence tacite d’une cession de droits d’auteur sur les créations réalisées :
« la nature de la commande impliquait nécessairement la reproduction de ces éléments de packaging pour la production et la commercialisation des bouteilles, à défaut de quoi la société Maison Villevert ne pouvait faire aucun usage des graphismes commandés. »
Il est exact que la remise de ces éléments par l’agence et l’absence de réclamation pendant une vingtaine d’années pouvaient laisser penser que la réclamation était formulée de mauvaise foi et/ou de manière opportuniste, en représailles d’une décision du client de changer de prestataire.
Il convient toutefois de relever que, si la Cour évoque une « cession implicite des droits d’exploitation pour la commercialisation des produits », elle indique que les devis soumis par l’agence comportaient bien une simili-clause de cession, selon laquelle les droits sur les travaux restaient la propriété du prestataire jusqu’au complet paiement du prix convenu. Interprétée a contrario, cette clause pouvait signifier que le paiement du prix opérait cession des droits. Par ailleurs, dans un e-mail envoyé une dizaine d’années avant la fin des relations commerciales entre les deux sociétés, le gérant du prestataire reconnaissait que ses créations « ne [lui] apparten[aient] plus », ce qui constituait un nouvel indice d’une cession implicite.
Ainsi, selon la Cour, la cession peut n’être pas formalisée conformément aux dispositions de l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle, mais il est indispensable de rapporter la preuve que les parties ont entendu procéder à une telle cession. A rebours, cela signifie que, sans a minima un faisceau d’indices, alors la cession ne devrait pas être retenue. En somme, la cession peut être implicite, mais elle n’en devient pas pour autant automatique.
On relèvera au demeurant que, selon la Cour, l’existence d’une cession implicite, quoique relevant du fond du litige, a pour conséquence de priver le demandeur de qualité à agir. Ainsi, le défendeur peut soulever une fin de non-recevoir devant le juge de la mise en état, qui pourra alors débouter le demandeur sur ce fondement.