La Ville de Paris ne parvient (définitivement) pas à obtenir l’annulation de la marque « SCOOTLIB »
Paris, la Ville-Lumière, son Vélib, son Autolib, son Scootlib… ou pas ! Depuis plusieurs années, la Mairie de Paris était opposée à une société Scootlib France qui avait procédé au dépôt d’une marque « SCOOTLIB » dès 2007, c’est-dire avant le dépôt de la marque « SCOOTLIB PARIS » par la municipalité en 2011.
La Mairie de Paris cherchait à faire annuler le dépôt de cette marque en raison, selon elle, de son caractère frauduleux. L’on sait que le dépôt frauduleux de marque est celui par lequel un opérateur tente sciemment de s’approprier une marque qui devrait revenir à un tiers. La Cour de cassation enseigne à cet égard que « un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité » (Cass. com., 25 avril 2006, 04-15.641).
La preuve de la fraude suppose donc la preuve… de l’intention de priver autrui d’un tel signe et de la nécessité de ce signe pour son activité. Il en résulte deux difficultés majeures : d’une part, la preuve de l’intention de nuire, complexe à rapporter en raison de son caractère éminemment subjectif ; d’autre part, la preuve que le signe en cause était véritablement « nécessaire ». Et, en l’occurrence, la Mairie de Paris a échoué dans cette double démonstration, comme en témoigne l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 décembre 2018 (pourvoi n° 17-24.582).
Selon la Mairie de Paris, la société Scootlib ne pouvait pas ne pas avoir connaissance des marques antérieures « VELIB » et « AUTOLIB », de sorte qu’elle aurait dû savoir qu’une déclinaison de ces signes était envisagée en matière de scooters. Pour autant, peut-il exister un droit de propriété automatique sur tous les signes pouvant apparaitre comme la déclinaison d’une marque antérieure ? Pas nécessairement et cela dépendra du cas d’espèce. Dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 26 mai 2017, avait estimé que tel n’était pas le cas et avait notamment considéré que Scootlib n’était pas de mauvaise foi.
La Cour de cassation lui donne raison en énonçant que la fraude suppose la preuve d’intérêts « sciemment méconnus ». En l’espèce, la société Scootlib n’avait pas nécessairement conscience du projet de la Mairie de Paris d’étendre l’idée d’un système de véhicules en libre service aux scooters, après les vélos et les autos. Selon l’arrêt, « il n’était pas établi que la mise en oeuvre d’un projet Scootlib’ avait fait l’objet d’une évocation publique par la Ville de Paris avant le dépôt de la marque Scootlib ».
La décision est intéressante. Juridiquement fondée, elle peut tout de même laisser un goût d’inachevé dans la mesure où, le succès de Velib et d’Autolib étant incontestable, Scootlib avait peut-être eu l’intention d’en profiter et, peut-être également, de créer un certain amalgame dans l’esprit du public entre tous ces modes de déplacement partagés. Mais, alors, l’action en annulation de marque pour dépôt frauduleux pouvait effectivement ne pas apparaître comme le meilleur… véhicule juridique, si l’on puit dire. Car les faits en cause pouvaient peut-être davantage relever du parasitisme… ce qui avait cependant été évoqué par la municipalité parisienne et rejeté par la Cour d’appel en ces termes :
« d'un point de vue conceptuel, s'ils ont la même construction associant le diminutif d'un moyen de transport au suffixe 'Lib' évoquant l'idée de liberté, ils font référence à deux types de véhicules distincts, le vélo pour l'un et le scooter pour l'autre, pour en conclure que l'internaute d'attention moyenne ne pourra lorsqu'il accédera aux sites litigieux les confondre avec ceux de la Ville de Paris ou en attribuer l'origine à cette dernière ».
Une motivation éventuellement contestable mais qui relevait en tout état de cause du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.