Un nom de canapé peut faire l’objet d’un usage à titre de marque
La Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu le 23 janvier 2019 (17-18.693) un arrêt intéressant dans un litige opposant deux fabricants de meubles, la société Caravane, d’une part, et la société Roche Bobois, d’autre part. La première, titulaire d’une marque « CARAVANE » visant les canapés, reprochait à la seconde l’utilisation du signe « KARAWAN » pour désigner l’une de ses créations, à savoir un… canapé.
Caravane avait donc assigné son concurrent au titre d’actes de contrefaçon de marque et, par un arrêt du 24 mars 2017, la Cour d’appel de Paris était entrée en voie de condamnation en considérant à la fois que ce signe « KARAWAN » constituait l’imitation de la marque antérieure « CARAVANE » et que son usage était bien constitutif d’une atteinte à cette marque.
La société Roche Bobois s’était pourvue en cassation et son pourvoi reposait essentiellement sur la notion d’usage à titre de marque. L’on sait que, pour que la contrefaçon de marque soit caractérisée, il est indispensable de démontrer que l’usage d’un signe (imitant potentiellement une marque antérieure) doit être fait pour distinguer des produits ou des services de ceux de concurrents. Plus juridiquement encore, il doit s’agir d’un usage « à titre de marque » et non, par exemple, à titre de simple dénomination sociale.
Or, en l’occurrence, Roche Bobois prétendait que le signe « KARAWAN » était utilisé uniquement à titre de dénomination d’un canapé de manière à permettre son référencement. Elle soutenait également que le consommateur ne pouvait pas être trompé sur l’origine du produit portant cette dénomination, puisqu’il savait qu’il provenait de Roche Bobois, seul le signe « ROCHE BOBOIS », également déposé en tant que marque, assurant, selon la demanderesse au pourvoi, la fonction de garantie d’origine.
Cependant, la Cour de cassation n’a pas suivi l’argumentation du pourvoi et a rejeté ce dernier en relevant tout d’abord que, sur les affiches de présentation des produits concernés, c’est le signe « KARAWAN » qui apparaissait de manière prépondérante, le signe « ROCHE BOBOIS étant, pour sa part, placé en bas des affiches et « éclipsé », nous dit l’arrêt, par le signe litigieux. Toujours sur un plan factuel, la Cour de cassation retient que le nom « KARAWAN » était reproduit sur les présentoirs, sur les catalogue, et qu’une recherche sur Google associant les mots « canapés » et « karajan » renvoyait automatiquement vers la gamme des produits en cause.
La Cour de cassation valide donc l’arrêt d’appel, selon lequel le mot « KARAWAN » et son mode d’utilisation avaient pour but « de distinguer et d’individualiser [les] produits [de Roche Bobois] auprès du consommateur et non d’assurer un simple référencement ».
La décision retient l’attention car il est exact que, sous l’influence de la jurisprudence de l’Union européenne, la contrefaçon de marque (en particulier en cas d’imitation) suppose dorénavant de rapporter la preuve d’une atteinte à la fonction de garantie d’origine de la marque. Cela signifie que le titulaire de la marque imitée doit démontrer l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public visé quant à l’identité du fabricant du produit concerné. Et lorsque le produit est commercialisé sous une marque plus globale (en l’occurrence, le nom du fabricant), alors il est tentant de considérer que l’atteinte à cette fonction de garantie n’est pas constituée.
Les juges de la Cour suprême n’entrent pas dans cette distinction et retiennent en l’occurrence l’usage du signe dans le but de distinguer un produit (y compris par rapport à d’autres modèles du même fabricant). Il y a donc bien, ici, usage à titre de marque, peu important donc que le consommateur ne puisse pas tout à fait être trompé quant à l’identité du fabricant (sachant que Caravane est une marque à part entière et que ses créations ne sont pas distribuées chez Roche Bobois).