En référé, miser sur la concurrence déloyale plutôt que sur le droit d’auteur
Le juge des référés est le juge de l’évidence. Dans le cadre d’une procédure de référé, il est donc indispensable pour le demandeur d’invoquer des faits et une qualification ne suscitant aucune contestation, ce qui peut se révéler hasardeux en matière de propriété littéraire et artistique. En effet, le caractère protégeable d’une oeuvre peut être discuté, contesté, ce qui, de prime abord, pose une difficulté dans le cadre d’une telle procédure d’urgence.
Et si l’article 835 du Code de procédure civile autorise le référé en présence d’une contestation sérieuse, c’est à condition de pouvoir rapporter la preuve d’un trouble manifestement illicite, ce qui, ici non plus, n’est pas chose aisée en matière de contrefaçon de droit d’auteur, sauf à ce que la contrefaçon soit absolument évidente.
Finalement, les plaideurs peuvent être tentés de plutôt invoquer en référé des actes de concurrence déloyale, plus simples à établir en référé. Un arrêt rendu le 7 décembre 2023 par la Cour d’appel de Douai vient en témoigner.
L’affaire opposait deux sociétés exploitant chacune une ou plusieurs agences immobilières. La première, en demande, avait exploité à compter de 2021 un visuel montrant une femme de dos devant des panneaux horaires et exprimant l’idée de changer de ville. Cette même image avait été exploitée quelques mois plus tard par son concurrent et une action en référé fondée sur les droits d’auteur, d’une part, et la concurrence déloyale, d’autre part, avait été engagée.
Devant le Président du Tribunal judiciaire de Lille, la demanderesse avait obtenu gain de cause, le juge des référés considérant que la représentation et reproduction par la défenderesse du visuel publicitaire « créé et diffusé » par la société demanderesse portaient une « atteinte vraisemblable » au droit d’auteur invoqué et même constituaient des actes de concurrence déloyale. La défenderesse s’était vu interdire d’utiliser le visuel en cause et avait même été condamnée à payer 15.000 euros de dommages et intérêts provisionnels.
Cependant, en appel, une idée déterminante fut invoquée : la défenderesse soutenait en effet que le visuel litigieux n’avait pas été « créé » par la société demanderesse, qui l’avait tout simplement… acquise auprès d’une banque d’images en ligne. Cela changeait tout ! Car, en effet, celui qui acquiert une licence sur un visuel n’est pas nécessairement titulaire des droits de propriété intellectuelle sur ce dernier : il peut ne détenir qu’un simple droit d’usage.
Précisément, l’appelante contestait les droits de propriété littéraire et artistique invoqués. Et la Cour d’appel de Douai lui a donné gain de cause :
« En l'espèce, l'élément dominant du visuel publicitaire est constitué par la photographie d'une femme de dos, regardant des panneaux horaires. Il est constant entre les parties que cette photographie a été acquise auprès d'une banque d'image et que la SARL Lestienne n'est [donc] pas titulaire des droits d’auteur ».
Mais, curieusement rédigé, l’arrêt en tire la conclusion que le visuel ne serait pas original :
« Ces éléments en eux-mêmes ne révèlent aucune recherche d'originalité se rapportant à l'activité de la société et la société Lestienne qui revendique la protection du droit d’auteur, se borne à donner une description du visuel publicitaire sans justifier de son originalité au regard d'autres visuels publicitaires. »
En réalité, les deux points sont distincts :
non seulement le visuel en cause n’apparaissait pas suffisamment original pour justifier l’existence de droits d’auteur ;
mais, en tout état de cause, la société demanderesse ne démontrait pas être titulaire des éventuels droits sur cette image.
L’ordonnance de référé fut donc infirmée sur cet aspect. Toutefois, elle fut confirmée en ce qui concerne le point relatif à la concurrence déloyale. En effet, la Cour d’appel a considéré que la reprise d’un visuel par un concurrent était susceptible de créer une confusion dans l’esprit du public :
« L’utilisation par la société Objectif Immobilier d'un visuel identique à celui utilisé par la société Lestienne est de nature à créer la confusion dans l'esprit du public, constitutif d'un trouble manifestement illicite au sens de l'article 835 du code de procédure civile. »
En réalité, ce n’est pas si simple. Car il est régulièrement jugé que l’action en concurrence déloyale suppose la reprise d’un élément non banal. Par exemple, en matière de noms de domaine, un nom non suffisamment distinctif (comme « mariageencorse » ou « coursier ») n’est pas protégé par la concurrence déloyale. Et, en l’espèce, si le visuel en cause n’est pas suffisamment original pour être considéré comme protégeable en référé, il n’est pas évident qu’il puisse non plus servir de fondement à une action en concurrence déloyale.
Finalement, l’arrêt n’opère-t-il pas une confusion entre concurrence déloyale et parasitisme ? Car le visuel en question ayant été utilisé depuis plusieurs mois par la demanderesse, sa reprise par un tiers pouvait traduire une volonté de se placer dans son sillage et ainsi profiter de ses investissements (peut-être difficiles à démontrer vu la courte période d’exploitation). Cependant, ce n’est pas la qualification retenue.
Quoi qu’il en soit, l’appelante a sans doute eu raison d’aller en appel puisque la condamnation à payer des dommages et intérêts provisionnels a été substantiellement réduite à la baisse, 3.000 euros au lieu de 15.000. Sans que tout cela ne préjuge évidemment du fond.