Des photographies de concert jugées originales (pour une fois)
La Cour d'appel de Paris a rendu le 25 janvier 2023 un arrêt intéressant relativement à l'originalité de photographies prises lors d'un concert. L'on sait que la jurisprudence est d’ordinaire particulièrement stricte en matière d'originalité de photographies et dénie souvent à ces dernières la protection par le droit d'auteur, à défaut pour le photographe de rapporter la preuve de choix esthétiques particuliers.
De nombreuses décisions ont ainsi été rendues en matière de photographies de concert, refusant de leur accorder la protection de la propriété littéraire et artistique. Par exemple, la Cour d'appel de Colmar a récemment reproché à un photographe de ne pas s'être expliqué "sur les parti-pris esthétiques qui auraient précisément conduit à la réalisation de chacune de ces images. (...) Prises à divers moments du concert de l'artiste, elles auraient pu l'être par n'importe quel spectateur. Il s'en déduit que les trois photographies prises lors du concert sont dépourvues de toute originalité et ne peuvent bénéficier d'une protection au titre des droits d'auteur" (CA Colmar, 11 mai 2020).
C'est donc de manière notable que la Cour d'appel de Paris a rendu une décision retenant, cette fois, l'originalité de photographies de concert. L'affaire opposait un photographe à un artiste qui avait utilisé des photographies prises par le demandeur lors d'un concert afin d'illustrer le livret d’un album, dont la jaquette. L'artiste prétendait que le photographe lui avait remis les clichés à titre gracieux, mais n'était pas en mesure de rapporter la preuve d'une cession de droits en bonne et due forme.
Sur le fond, l'artiste soutenait classiquement que les photographies en cause n'étaient pas protégeables, dès lors que le photographe s'était contenté de prendre les clichés sur le vif. L'argumentation est connue.
Or, si les juges ont concédé le fait que le photographe n'avait eu aucune prise sur la position de l'artiste, par exemple, ils ont considéré que le les photographies portaient bien l'empreinte de sa personnalité :
"Si par hypothèse, s'agissant de clichés pris sur le vif lors d'un concert, le photographe n'a choisi ni le sujet, ni la posture ou l'expression du musicien, pas plus que les décors, les costumes ou la lumière, M. [N] (...) a procédé à des choix arbitraires quant aux moments qu'il a décidé de capturer, à l'angle des prises de vues, au cadrage puis au recadrage des photographies conférant à celles-ci un caractère personnel et original correspondant à ce que le photographe souhaitait retranscrire en images du concert."
Ce sont bien ces “choix arbitraires” qui ont justifié, cette fois, la protection par le droit d’auteur pour des clichés pris lors d’un concert.
La solution suscite deux commentaires :
Le premier tient au fait que, contrairement à d'autres affaires, le photographe avait ici pris soin, dans ses écritures, de caractériser ce qui, selon lui, conférait l'originalité à ses clichés. Par exemple, il indiquait que l'une des images traduisait sa volonté "de faire ressentir, au travers de son cliché, la proximité entre lui et l'artiste". Convaincant ? Chacun appréciera. Mais à tout le moins, il ne s'était pas contenté d'invoquer l'originalité sans explication. Ce faisant, la décision n'est pas contradictoire avec l'arrêt de Colmar sus-cité, puisqu'il était précisément reproché, dans cette affaire, l'absence de toute explicitation de l'originalité.
La seconde réside dans l'intensité de l'originalité qui a été exigée par les juges pour conférer la protection par le droit d'auteur aux clichés en cause. En effet, l'arrêt retient bien que les photographies ont été prises sur le vif, sans contrôle du photographe quant à la scène capturée, au-delà de sa position dans la salle de concert. Sachant que, dans un concert, il est difficile de se mouvoir et d'aller où l'on veut réellement… c'est donc surtout le travail de retouche qui confère l'originalité aux clichés. Est-ce réellement suffisant ? Ici aussi, chacun appréciera.
Il sera enfin relevé que le montant des dommages et intérêts accordés par le juge est particulièrement modéré, 2.000 euros au total pour deux photographies, outre 3.000 euros au titre des frais de procédure.