Pas d'arrêt de l'exécution provisoire en appel sans preuve des conséquences excessives
Les décisions rendues en première instance sont désormais toutes assorties de l'exécution provisoire de droit, ce qui signifie que la partie qui succombe doit, en principe, exécuter la décision, notamment en payant les condamnations prononcées. À défaut, son appel pourrait faire l'objet d'une radiation par le premier président de la cour d'appel ou bien le conseiller de la mise en état (article 524 du Code de procédure civile).
Cette obligation d'exécuter toutes les décisions de première instance, qui date de la réforme de la procédure civile entrée en vigueur en 2020, emporte des conséquences parfois lourdes pour les parties qui ont perdu devant le Tribunal. C'est la raison pour laquelle le Code de procédure civile ouvre la porte à un recours en arrêt de l'exécution provisoire devant le Premier président de la cour d'appel.
Cette possibilité reste toutefois largement théorique et les rejets des demandes de sursis à l'exécution provisoire sont très nombreux. En voici un nouvel exemple.
L'affaire analysée ici opposait une société Sygnatures, titulaire d'une marque du même nom déposée en classes 35 et 36 pour viser notamment les services de conseil en matière financière, à une société Signaturs, société de commissaires aux comptes, à laquelle il était reproché des actes de contrefaçon de marque.
En première instance, le Tribunal judiciaire de Paris condamna la société Signaturs pour contrefaçon en raison du choix du signe "SIGNATURS" comme dénomination sociale, en mettant à sa charge la somme de 4.000 euros de dommages et intérêts, outre l'obligation de modifier sa dénomination sociale et le paiement de 5.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Signaturs interjeta appel du jugement et, parallèlement saisit le Premier Président de la Cour d'appel de Paris aux fins de tenter d'obtenir la suspension de l'exécution provisoire attachée (de droit) au jugement du Tribunal de Paris. Elle invoquait, au soutien de sa demande, le fait qu'il existerait un moyen sérieux d'annulation de la décision de première instance, dès lors qu'il existerait peu de similarités entre les services des deux sociétés. Elle invoquait également les conséquences "manifestement excessives" de la décision de première instance, en particulier celles résultant de l'obligation de changer de dénomination sociale dans l'attente de l'arrêt d'appel.
Cependant, cette demande de suspension de l'exécution provisoire fut rejetée par une ordonnance du 14 mars 2023.
Dans cette décision, le Premier Président de la Cour d'appel de Paris a rappelé que, selon l'article 514-3 du Code de procédure civile, l'arrêt de l'exécution provisoire ne peut intervenir que "lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives".
De surcroît, la partie qui n'a formulé aucune observation quant à l'exécution provisoire au stade de ses écritures devant le tribunal doit démontrer que ces conséquences manifestement excessives se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.
Or, en l'espèce, il a été considéré que la société Signaturs ne rapportait pas cette preuve. Notamment, elle ne démontrait pas ce que le changement de dénomination sociale induirait "in concreto" sur sa situation personnelle :
"La SAS Signaturs qui invoque les conséquences de l'exécution de la décision sur son activité, en soulignant qu'elle devrait modifier sa dénomination sociale, n'apporte aucun élément sur l'impact in concreto de cette mesure ni sur l'évolution de sa situation depuis le jugement."
Par ailleurs, cette société ne démontrait pas l'incidence de la condamnation à payer 4.000 euros à la société demanderesse. Elle ne produisait, semble-t-il, pas d'extrait de ses comptes bancaires ni n'exposait en quoi il aurait existé un risque de non restitution de la somme en cas d'infirmation du jugement en appel.
Sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire a donc été rejetée et la société Signaturs a également été condamnée à payer 1.000 euros d'article 700 à la partie intimée.
Cette décision très claire rappelle que le recours devant le Premier Président de la cour d'appel suppose un minimum de preuve et d'argumentation : il ne suffit pas d'alléguer de l'existence de conséquences manifestement excessives, de manière théorique, pour qu'elles soient retenues. Il est indispensable de les étayer.
L'obligation de changer de dénomination sociale est pourtant, à l'évidence, lourde de conséquences en pratique, avec le risque d'une perte de clientèle, la perte de référencement sur les moteurs de recherche, les coûts associés à une éventuelle campagne de communication pour informer les clients et prospects d'un changement de nom... et même les coûts à prévoir dans l'hypothèse où le jugement du Tribunal serait infirmé en appel. Un changement de dénomination est du reste souvent définitif compte tenu de l'incohérence à changer de nom deux fois dans un temps limité.
Et pourtant, l'analyse de la jurisprudence montre qu'il est très rare que ce changement soit considéré comme véritablement impactant pour une entreprise, ce qui ne manque pas de surprendre. Dans une autre affaire, le Premier Président de la Cour d'appel de Paris a même déjà jugé que l'obligation d'abandonner un nom de domaine, prononcée en première instance, devait être exécutée, nonobstant l'appel interjeté, et alors même que cet abandon signifiait nécessairement une perte irrémédiable !
Ce type de recours est donc très aléatoire et risqué. Le taux de rejet, très élevé, signifie souvent que l'appel est dénué d'intérêt. Il n'en demeure pas moins qu'il est prudent, dans ses écritures de première instance, d'évoquer la question de l'exécution provisoire en expliquant pourquoi il serait préférable qu'elle ne soit pas prononcée, en évoquant, dès ce stade, les conséquences qu'elle ne manquerait pas d'emporter pour la partie défaillante.