La forclusion par tolérance s’applique-t-elle aussi à l’action fondée sur l’atteinte aux marques de renommée ?

L’action en contrefaçon de marque est enfermée dans des contraintes temporelles. En effet, le Code de la propriété intellectuelle prive le titulaire de marque, qui a toléré un usage contrefaisant pendant cinq ans, de la possibilité d’agir : il s’agit d’un cas de forclusion par tolérance, désormais codifié à l’article L. 716-5 de ce Code :

“Est irrecevable toute action en contrefaçon d'une marque postérieure enregistrée dont l'usage a été toléré pendant cinq ans, à moins que son dépôt n'ait été effectué de mauvaise foi. Toutefois, l'irrecevabilité est limitée aux seuls produits et services pour lesquels l'usage a été toléré.”

Sur le plan procédural, la forclusion par tolérance constitue une fin de non recevoir.

La paralysie de l’action en contrefaçon de marque s’applique-t-elle également à l’action, distincte, qui repose sur l’atteinte à la marque de renommée ? L’on sait en effet que les marques qui bénéficient d’une renommée particulière bénéficient d’une protection élargie, puisqu’elles échappent au principe de spécialité : tout usage de la marque sans autorisation par un tiers peut être fautif, y compris s’il est effectué pour désigner des produits ou services non visés dans le certificat d’enregistrement.

Et, pendant longtemps, l’action reposant sur l’atteinte à la marque de renommée ne constituait pas, à proprement parler, une action en contrefaçon : il s’agissait d’une action en responsabilité civile. Dès lors, la question se pose de savoir si cette action en responsabilité est elle aussi enfermée dans le délai de forclusion.

Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 31 mai 2023 répond à cette question. L’affaire opposait le titulaire de la marque « OXFORD », qui désigne des produits de papèterie, à un tiers (autrefois licencié de cette marque) qui utilisait ce signe pour désigner des produits de maroquinerie et de bagagerie. Le titulaire de la marque formulait des demandes à la fois au titre de la contrefaçon de marque et au titre de l’atteinte à la marque de renommée.

Un premier arrêt de la Cour d’appel de Paris, daté du 11 janvier 2023, avait débouté le titulaire de la marque, au motif qu’il avait toléré l’usage du signe « OXFORD » pour désigner des produits de bagagerie scolaire depuis 2009. Cependant, l’arrêt n’avait pas répondu expressément au grief tiré de l’atteinte à la marque de renommée.

C’est ainsi que le titulaire de la marque avait eu l’idée de déposer une requête en omission de statuer, en arguant du fait que la tolérance ne pouvait s’appliquer qu’à l’action en contrefaçon et non pas à l’atteinte à la marque de renommée, les deux griefs étant d’ailleurs explicités de manière distinctes dans ses conclusions, de sorte que la Cour devait expressément se prononcer sur cette demande et condamner son adversaire à indemniser le préjudice subi.

Cependant, la Cour n’a pas fait droit à cette prétention.

D’une part, dans son arrêt, la Cour relève que, dans ses propres conclusions, le titulaire de la marque n’opérait pas lui-même de distinction. En effet, en réponse à la fin de non-recevoir soulevée par son adversaire, il n’a pas tenté d’en restreindre la portée en soutenant que l’argument n’aurait pu porter qu’à l’égard des demandes au titre de la contrefaçon.

D’autre part, et en tout état de cause, la Cour retient qu’en considération du règlement de 1988 sur le droit des marques, la forclusion par tolérance s’appliquait également à l’action en responsabilité pour atteinte à une marque de renommée.

Cette solution, rendue au regard du droit ancien, est critiquable. En effet, il était traditionnellement enseigné qu’en tolérant, en toute connaissance de cause, l'usage d’un signe litigieux pendant plus de cinq années, le titulaire d'une marque renommée conservait le droit d'agir en responsabilité civile sur le fondement de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle. C’est ainsi que certains auteurs ont relevé, en commentaire de l’arrêt du 11 janvier dernier, qu’en vertu d’une interprétation stricte des textes, seule l’action en contrefaçon de marque aurait pu être concernée par la forclusion et que le titulaire de la marque aurait été inspiré de ne formuler des demandes que sur ce fondement.

En revanche, le droit positif ne laisse plus de doute sur le sujet, dans la mesure où les atteintes portées à une marque de renommée sont désormais qualifiées elles aussi de « contrefaçon ». L’arrêt du 31 mai opère donc en quelque sorte un alignement des solutions, quelle que soit la version applicable des textes.