De l'importance du procès-verbal de recettes avec réserves pour l'appréciation de l'exécution de l'obligation de délivrance conforme

Les contrats de prestations de services informatiques et, plus particulièrement, les contrats d'intégration de logiciel, prévoient généralement le type d'obligation auquel le prestataire est soumis, qu'il s'agisse d'une obligation de résultat ou de moyens. Dans le premier cas, le prestataire doit atteindre le résultat attendu. Dans le second, il est jugé sur les investissements techniques et humains mis en oeuvre pour atteindre le résultat. Cette clause est souvent sujette à d'âpres négociations.

Mais, dans tous les cas, le prestataire, qui est également vendeur d’une solution informatique, est tenu à une obligation légale de délivrance conforme, selon les dispositions de l’article 1604 du Code civil, qui vient quelque peu relativiser l'importance de la distinction entre obligation de résultat ou de moyen. Et lorsqu'il apparaît que le logiciel livré n'est pas conforme à ce qui avait été envisagé, alors le prestataire engage sa responsabilité, sauf à ce qu'il rapporte la preuve que les anomalies affectant l'outil ont été corrigées.

C'est ce qu'a rappelé la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 22 mars 2024 opposant un prestataire informatique à son client qui l'avait chargé de prestations d'intégration d'un logiciel de gestion d'entreprise (dit "ERP"). En l'occurrence, le client reprochait à son prestataire d'avoir manqué à ses obligations, notamment parce que la solution n'était pas parfaitement fonctionnelle, ce qui avait été relevé dans le cadre de la procédure de recette. Le client avait certes signé le procès-verbal de recette, mais également formulé plusieurs réserves relatives à des anomalies bloquantes, empêchant le bon fonctionnement du logiciel, lesquelles n'avaient, selon lui, jamais été corrigées.

Dans son arrêt, la Cour rappelle qu'il appartient à la partie qui invoque des dysfonctionnements affectant un logiciel d'en rapporter la preuve, conformément aux dispositions de l'article 9 du Code de procédure civile. Et, sur ce point, le procès-verbal de recette se révèle déterminant. Car s'il est exact que la solution a fait l'objet d'une mise en production, il n'en demeure pas moins que le procès-verbal consignait plusieurs erreurs.

La décision retient que, selon le procès-verbal, "seize points ont été validés mais trente-et-un points ont été réservés (...). En raison des réserves qu'il comporte, ce procès-verbal (...) ne saurait avoir valeur définitive de la solution informatique par la société L'Ebenoïd", et ce alors même qu'il s'intitulait "procès-verbal de recette définitive".

La Cour en déduit que le prestataire aurait dû mettre en oeuvre des mesures correctives, notamment procéder à une nouvelle phase de tests, corriger les anomalies et tenter d'établir un nouveau procès-verbal de recette, ce qu'elle n'a pas fait. A rebours, le prestataire a reçu plusieurs lettres de mise en demeure de son client, lui enjoignant, en vain, de corriger les dysfonctionnements.

La Cour reproche précisément au prestataire de n'avoir pas remédié aux dysfonctionnements persistants, eux-mêmes ayant été relevés dans le cadre d'un procès-verbal de constat d'huissier, notamment des erreurs dans des calculs de stocks, des erreurs dans la valorisation des stocks ou encore des erreurs sur les déclarations de TVA, autant de problèmes rendant évidemment la solution impropre à l'usage pour lequel elle est destinée.

En définitive, selon l'arrêt, "les fonctionnalités essentielles du logiciel n'étaient pas assurées", ce qui constitue un manquement à l'obligation de délivrance du fournisseur de solution informatique.

Il est intéressant de relever que ce manquement est retenu alors même que la solution avait pu entrer en production, l'un n'étant pas incompatible avec l'autre. En d'autres termes, le démarrage de l'outil ne vaut pas blanc seing de la délivrance conforme.

La Cour, retenant la responsabilité du prestataire, a été tenue de déterminer le préjudice subi par le client. A cet égard, le préjudice financier retenu est celui correspondant au coût du nouveau prestataire (à hauteur de la moitié des factures émises). En revanche, la Cour a rejeté les autres demandes, dont celle au titre d'un préjudice d'image.

On relèvera enfin que la Cour fait application de la clause limitant la responsabilité du prestataire, cette clause étant considérée comme valable dès lors que l'indemnisation limitée à la rémunération perçue sur 12 mois n'était pas "dérisoire".