Pas de délivrance conforme pour un logiciel sous licence affecté de dysfonctionnements

Que faire lorsqu'un logiciel dont on est régulièrement licencié connaît de nombreux dysfonctionnements et que, parallèlement, son éditeur, donneur de licence, réclame le paiement de la rémunération contractuelle ? S'il est possible de rapporter la preuve de ces anomalies qui parasitent la bonne utilisation du logiciel, alors il peut être envisagé de soulever un manquement à l'obligation de délivrance conforme, comme en témoigne un arrêt rendu par la Cour d'appel de Toulouse le 17 décembre 2024.

Dans cette affaire, une société exerçant ses activités dans le domaine immobilier, notamment en qualité de syndic, avait souscrit une licence à un logiciel de gestion de copropriété, pour un abonnement mensuel, ainsi que des formations associées. L'éditeur du logiciel avait adressé plusieurs factures au syndic, pour un montant d'environ 16.000 euros, que le syndic avait refusé de payer.

La société cliente prétendait en effet avoir rencontré beaucoup de difficultés dans le cadre de l'utilisation du logiciel et, quelques mois plus tard, elle avait exprimé son intention de mettre un terme au contrat de licence, invoquant des "torts exclusifs" de l'éditeur et réclamant le paiement d'une indemnité. L'éditeur s'était opposé à ces demandes et avait assigné son ancien client devant le Tribunal de commerce afin de tenter d'obtenir le règlement de ses factures.

En première instance, le Tribunal était entré en condamnation à l’encontre du client, considérant que les factures étaient dues. Toutefois, l'arrêt de la Cour d'appel de Toulouse a infirmé le jugement et il est intéressant de se pencher sur le raisonnement tenu par les juges d'appel.

En l'espèce, la société de syndic soutenait que l'éditeur avait manqué à son obligation de délivrance conforme, le logiciel souffrant de nombreuses anomalies. Dans son arrêt, les juges considèrent que le contrat conclu serait un contrat de vente - ce qui est en soi contestable. En effet, la licence s'apparente plutôt à une location, ce qui n'a du reste pas d'incidence sur l'obligation de délivrance conforme, qui est due également en matière de location.

Quoi qu'il en soit, les juges ont rappelé à raison que, lorsqu'il est invoqué des dysfonctionnements affectant un logiciel, il appartient à la partie qui en fait état d'en rapporter la preuve, étant précisé qu'en matière commerciale, la preuve est libre. Et s'il était proposé de désigner un expert, les juges ont ici considéré que l'expertise n'était pas nécessaire. En effet, la Cour a estimé que les éléments de preuve versés aux débats par le client étaient suffisants pour reconnaître l'existence de dysfonctionnements du logiciel.

Quels étaient les documents produits ? Tout d'abord, la société appelante produisait des copies de nombreux e-mails envoyés au service support de l'éditeur, attestant "de multiples difficultés liées au fonctionnement des applications, tels la disparition des icônes sur le bureau, l'impossibilité de lancer l'applicatif sur certains postes, la non accessibilité des clients à l'extranet, l'impossibilité d'enregistrer des données ou leur perte, l'enregistrement parasite de données non souhaité, l'absence de concordance entre les données suivant les entrées choisies, des problèmes d'affectation bancaire ou de répartition des charges" (sic).

Par ailleurs, la société produisait une attestation de son prestataire informatique confirmant les problèmes rencontrés, des constats d'huissier portant sur le journal d'assistance, ainsi qu’une analyse informatique menée de manière non contradictoire par un technicien, réalisant des manipulations permettant de créer des défauts. En tout, l'analyse avait relevé 78 erreurs critiques et 46 erreurs sévères !

Au vu de ces éléments édifiants, la Cour a considéré que la preuve des dysfonctionnements était bien rapportée. Et elle relève de manière opportune que ces défauts n'auraient pas pu être détectés au moment de la livraison du logiciel, seule une utilisation au quotidien permettant de les constater.

En somme, la Cour retient que la société éditrice "n'a pas satisfait à son obligation de délivrance conforme des progiciels telle que prévue au contrat : la récurrence des dysfonctionnements constatés, l'impossibilité pour la cliente de poursuivre normalement ses activités professionnelles ainsi que la nécessité pour elle in fine de changer toute sa solution informatique établissent la gravité des manquements reprochés à l'intimé et justifient, au sens de l'article 1219 du Code civil, que l'appelante lui oppose l'exception d'inexécution."

Dans cette affaire, la société cliente avait renoncé à solliciter la résolution judiciaire du contrat mais soutenait seulement que les problèmes rencontrés dans l'utilisation du logiciel la déchargeaient de son obligation de régler les factures de l'éditeur du logiciel. Elle a donc obtenu gain de cause.

Il sera précisé par ailleurs que la Cour a refusé de condamner l'éditeur à payer une indemnité à sa cliente, en particulier en tenant compte des stipulations contractuelles. Il aurait donc peut-être été pertinent de maintenir la demande de résolution de la convention...