Pas de faute de la part du client qui résilie un contrat de prestations informatiques et débauche concomitamment un salarié de son ex-prestataire

Les contrats de prestations de services informatiques contiennent parfois une "clause de non sollicitation" aux termes de laquelle le client s'interdit de débaucher un ou plusieurs salariés du prestataire informatique, sauf à régler une indemnité parfois substantielle. Cette clause peut, en pratique, présenter un réel intérêt si le prestataire souhaite préserver l'intégrité et la stabilité du personnel qu'il affecte à l'exécution des contrats de service.

Une affaire jugée par le Tribunal judiciaire de Paris le 17 septembre 2024 en témoigne. En l'occurrence, une association avait confié à une société de services informatiques la gestion, l'exploitation et l'évolution de son système d'informatique. Le contrat avait été conclu en 2018 pour une durée de douze mois et était reconductible d'année en année, pour des périodes successives de douze mois, sauf résiliation au terme de chaque période contractuelle moyennant un préavis écrit de trois mois.

Le prestataire avait affecté un salarié à l'exécution de ce contrat. En août 2021, ce salarié avait démissionné de son poste. Quelques jours plus tard, le 1er septembre 2021, l'association avait notifié à son prestataire la résiliation du contrat de services avec effet au 31 décembre suivant, en respectant donc le préavis de trois mois conformément aux termes du contrat.

Le prestataire avait alors pris acte de la fin du contrat mais s'était ému du débauchage de son salarié par ce même client et considérait que ce dernier avait commis une faute à son égard, engageant sa responsabilité. En effet, la société prestataire soutenait à la fois que ce débauchage causait une désorganisation de son entreprise et la privait d'un revenu régulier.

Le contrat signé ne contenait aucune clause de non sollicitation. L'association, ancienne cliente, considérait donc pour sa part n'avoir commis aucune faute, d'autant qu'elle avait respecté le préavis contractuel et que le salarié en question n'occupait aucun poste stratégique dans l'entreprise.

Par son jugement, le Tribunal judiciaire (ici compétent en raison de la qualité d'association non commerçante du client) rappelle que les contrats doivent être exécutés de bonne foi, conformément aux termes de l'article 1104 du Code civil et que la rupture unilatérale d'un contrat à durée déterminée peut, même si le préavis est respecté, revêtir un caractère abusif selon les circonstances particulières qui l'entourent.

Mais le jugement rappelle aussi que la liberté du travail constitue une "liberté constitutionnelle" et qu'un salarié peut librement choisir son employeur, lequel peut lui aussi "embaucher qui bon lui semble". Ainsi, le Tribunal rappelle que "l'embauche du salarié d'une entreprise concurrence ou d'un partenaire n'est pas par principe fautive" et qu'elle "ne devient déloyale que lorsque sont caractérisées des circonstances particulières caractérisant (sic) la faute du nouvel employeur, causant un préjudice à l'employeur précédent."

Or, en l'espèce, le Tribunal estime que le prestataire informatique n'avait pas rapporté la preuve d'une faute, et plus spécifiquement la preuve de "manoeuvres déloyales ayant conduit au recrutement du salarié". Il n'a pas non plus démontré que le départ dudit salarié avait "entraîné une véritable désorganisation de son fonctionnement et non une simple perturbation."

Certes, le Tribunal relève qu'il y a bien eu concomitance entre la démission du salarié et la résiliation, par l'association, du contrat de prestations de services informatiques, mais que cette concomitance n’était pas, en soi, synonyme d'une faute ou d'un abus de résiliation.

Du reste, l'association avait rapporté la preuve que l'embauche du salarié avait eu lieu selon un processus classique, selon une campagne de recrutement publique au moyen du recours à une plateforme de recrutement.

De manière intéressante, les juges ont considéré que la non divulgation du motif réel de résiliation du contrat n'était pas fautive. Dans sa lettre de résiliation, l'association évoquant uniquement un changement de son mode de fonctionnement et la fin du besoin d'un prestataire dans le domaine informatique. Selon le jugement, "aucune disposition contractuelle ne lui imposait de faire connaître à son cocontractant le motif de sa décision".

Le prestataire a donc été débouté de sa demande d'indemnisation (à hauteur de 53.000 euros) et a été condamnée à payer 4.000 euros à son ancienne cliente au titre des frais de procédure.

Cette décision assez bien motivée confirme donc l'intérêt des clauses de non sollicitation dans les contrats de prestations informatiques, puisqu’elle aurait ici limité la possibilité pour le client de débaucher le salarié de son (ancien) prestataire pendant une certaine durée, sauf à accepter de lui payer une indemnité.