Pas de contrefaçon d'un logiciel dont l'existence n'est pas démontrée... mais dont la reprise probable est bien fautive.

Certains litiges se révèlent parfois assez surprenant, comme cette affaire opposant deux informaticiens à une société Myriocom, qui leur avait confié la tâche de développer et optimiser un logiciel dénommé "cahier sanitaire", devant servir dans le cadre du commerce de bétail.

En 2016, Myriocom avait décidé de poursuivre le projet avec un autre partenaire. Les deux ingénieurs, revendiquant des droits de propriété intellectuelle sur le logiciel "cahier sanitaire", se sont alors plaints de l'utilisation de ce logiciel et de leurs travaux préparatoires en violation de leurs droits. Ils avaient procédé à une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Myriocom, puis assigné cette dernière en contrefaçon et concurrence déloyale.

Les deux demandeurs s'étaient toutefois vu débouter de leurs prétentions devant le Tribunal judiciaire, à défaut pour eux d'avoir produit devant le tribunal les éléments précis et concret permettant d'appréhender le logiciel et ainsi d'apprécier l'existence du programme et sa paternité.

En cause d'appel, ils prétendaient à nouveau être titulaires de droits d'auteur sur le logiciel "cahier sanitaire", lequel aurait été exploité le logiciel sans cession valable de leur droits. Ils communiquaient à cet égard un cahier des charges, des captures d'écran et un tableau Excel, exposant également que la société Myriocom n'avait jamais contesté l'existence de ce logiciel.

En revanche, ils ne produisaient pas le code source du logiciel. Et pour cause, il semble bien qu’aucun code n'existait : le logiciel en question se présentait uniquement sous la forme d'un tableau Excel, au format papier, non consultable sur téléphone mobile... ce qui expliquait que la société Myriocom se soit adressée à un autre partenaire afin de procéder au développement d'un "vrai" logiciel.

De manière pédagogique, la Cour d'appel de Bordeaux, par son arrêt du 29 octobre 2024, rappelle qu'un logiciel est "un ensemble de programmes informatiques, de procédés et de règles qui permettent à un ordinateur d'effectuer des tâches spécifiques" et que ce n'est pas l'idée d'un logiciel qui est protégeable, mais sa matérialité. Or, selon la Cour, les appelants n'étaient pas en mesure de fournir d'autre élément que des captures d'écran de feuillets Excel et d'interfaces, à propos desquels il n'était pas allégué qu'ils portaient l'empreinte de la personnalité de leurs auteurs.

Ainsi, selon l'arrêt, le logiciel en cause se présente "essentiellement sous forme de tableaux ou de fiches à compléter, d'ordonnances à intégrer, sans grande originalité, au contraire d'autres logiciels de comparaison présentant notamment des bilans de santé avec graphiques". La protection par le droit d'auteur ne pouvait donc pas lui bénéficier.

Pour autant, l'absence de droits d'auteur n'a pas empêché les appelants d'obtenir une indemnisation sur le fondement de la responsabilité civile. En effet, selon l'arrêt, "le simple détournement de leur travail [était] de nature à constituer une faute leur portant préjudice, sanctionnable, à la mesure du préjudice subi, au titre de la concurrence déloyale."

Dans cette affaire, la Cour a considéré que le procès-verbal de saisie-contrefaçon avait permis d'établir que, sur l'ordinateur de la société Myriocom, se trouvaient des éléments tendant à démontrer qu'un logiciel intitulé "cahier sanitaire" aurait existé, en particulier des prospectus en vue d'un salon... ce qui aurait permis d'établir l'utilisation des travaux préparatoires des demandeurs pour la conception d'un autre logiciel. La société Myriocom a alors été condamnée à payer 5.000 euros de dommages et intérêts.

La lecture de cette décision laisse pour le moins circonspect : des demandeurs qui invoquent un logiciel qui consisterait seulement en un tableur Excel, le rejet des demandes sur le fondement de la contrefaçon mais l'utilisation des constatations d'un huissier dans le cadre d'un procès-verbal de saisie-contrefaçon, une condamnation pour concurrence déloyale alors même que la matérialité de la faute paraissait bien légère...

Parfois, la vérité est ailleurs.