Le site fluctuat.net était une oeuvre collective.
La Cour d’appel de Versailles a récemment eu à trancher un litige opposant certains anciens contributeurs du site internet fluctuat.net à la société Lagardère Digital France, qui a repris les actifs du site et a décidé de republier certains articles relatifs au cinéma sur le site du magazine Première qu’elle exploite. Les auteurs des articles, qui vaquent désormais à d’autres occupations depuis la fin du site fluctuat.net, invoquaient leurs droits d’auteur pour tenter de s’opposer à cette réutilisation sans leur autorisation.
Les contributeurs évoquaient en particulier le fait qu’ils n’avaient jamais formellement cédé leurs droits de propriété intellectuelle au profit du site fluctuat.net, de sorte qu’ils étaient restés titulaires des droits d’exploitation desdits articles et pouvaient s’opposer à leur reproduction et leur représentation sur un autre support que le site d’origine. Ils invoquaient également une atteinte à leur droit moral d’auteur, et plus précisément à leur droit à la paternité, car Lagardère avait supprimé leur nom dans le cadre de la réutilisation des articles qu’ils avaient rédigés.
Par un arrêt du 1er décembre 2016, la Cour d’appel de Versailles a débouté les auteurs de leurs demandes au titre des droits patrimoniaux d’auteur. Les juges ont en effet suivi l’argumentation de Lagardère, consistant à soutenir que les contributions des différents auteurs formaient une oeuvre collective au sens de l’article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle. Le recours à la notion d’oeuvre collective, qui est une forme d’oeuvre à plusieurs, à l’opposé de l’oeuvre créée individuellement, est intéressant dans le sens où celui qui prend l’initiative de l’oeuvre collective devient automatiquement titulaire des droits sur l’oeuvre ainsi créée. C’est ce qu’énonce en effet l’article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle, qui dispose que « l’oeuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée ».
Le régime de l’oeuvre collective s’applique assez bien aux oeuvres créées sous la direction d’une personne physique ou morale. Et, en particulier, les journaux sont généralement considérés comme des oeuvres collectives. De la sorte, il n’est guère surprenant qu’un site internet consacré à l’actualité culturelle soit lui aussi considéré comme une oeuvre collective, propriété de la société qui l’édite (ou, en l’espèce, de la société qui a racheté les actifs relatifs au site).
Cela étant, tout en étant titulaire des droits sur le site de manière générale, Lagardère ne pouvait pas faire tout usage des contributions des auteurs. Il est même constant en jurisprudence que le titulaire des droits sur l’oeuvre collective ne bénéficie en revanche d’aucun droit sur chacune des contributions prises isolément. C’est donc de manière assez surprenante que les juges se fondent sur le « droit de remaniement » de l’oeuvre collective pour considérer que Lagardère pouvait réexploiter les oeuvres.
Les juges ont en effet relevé que les articles litigieux avaient simplement été reproduits sur un autre site (donc sur un même support que le support de publication initial) et plus précisément qu’il s’agissait d’articles relatifs à des films, qui avaient été reproduits sur un site consacré au cinéma. Selon l’arrêt, « la diffusion de ces articles sur le site premiere.fr s'inscrit dans le prolongement de leur diffusion sur le site fluctuat.net », de sorte que « en poursuivant un mode d'exploitation identique à celui autorisé, sur un site comportant des références au site original et dans le prolongement de la diffusion sur celui-ci, la société Lagardère n'a fait qu'exercer son droit de remaniement sur l'oeuvre collective dont elle était titulaire ». L’autorisation des auteurs n’était donc, selon cet arrêt, pas nécessaire pour pouvoir réexploiter les articles.
En revanche, la société Lagardère a été condamnée pour violation du droit moral des auteurs. En effet, la réexploitation desdits articles n’aurait pas dû s’accompagner d’une suppression du nom des auteurs ou de la mention d’un autre nom. Selon l’arrêt, les auteurs ont subi un préjudice qui devait être réparé par l’allocation d’une somme de 50 euros par article reproduit. Si la somme n’est pas impressionnante en soi, le nombre d’articles reproduits conduit à une indemnisation assez substantielle par auteur.