Pas d’originalité pour des photographies de concert
La solution n’est en elle-même guère… originale, mais cet arrêt de la Cour d’appel de Colmar du 11 mai 2020 mérite l’attention par son application rigoureuse des critères classiques de l’originalité en matière photographique.
L’affaire opposait une chanteuse et son nouveau producteur, d’une part, à son ancien producteur, d’autre part. Le producteur évincé reprochait notamment à son successeur l’utilisation de photographies représentant la chanteuse et sur lesquelles il prétendait détenir des droits d’auteur.
Les photographies en cause étaient à la fois des photographies prises lors de concert de la chanteuse et des captures tirées d’un clip vidéo. Pour revendiquer des droits d’auteur sur ces images, le producteur évoquait divers éléments, comme le fait qu’il était à l’origine de la diffusion des photographies sur la page Facebook de l’artiste et qu’il bénéficiait par ailleurs d’un contrat de cession de droits.
Toutefois, les juges ont opéré une distinction :
s’agissant des clichés tirés du clip, l’arrêt considère que les images « doivent être considérées comme originales car issues de cette oeuvre, qui est elle-même originale du fait des choix artistiques opérés lors du tournage » ; la motivation apparaît ici un brin légère car il n’est pas justifié desdits « choix artistiques » mis en oeuvre lors de la réalisation du clip. D’ailleurs, en jetant un oeil à l’oeuvre en question, on peut légitimement rester dubitatif ;
s’agissant des photographies de concert, l’originalité fait défaut car le producteur évincé « ne s’explique pas sur les parti-pris esthétiques qui auraient conduit à la réalisation de chacune de ces images. (…) Prises à divers moment du concert de l’artiste, elles auraient pu l’être par n’importe quel spectateur. »
À cet égard, il est vrai que la démonstration de l’originalité d’une photographie suppose notamment que celui qui revendique des droits d’auteur puisse justifier des choix personnels de l’auteur des clichés.
En l’espèce, il semble que le producteur invoquait seulement des « cadrages » et « réglages de saturation », ce qui n’est guère suffisant puisqu’il s’agit de simple considérations techniques.
Comme le relève l’arrêt à juste titre, « toute photographie comporte nécessairement des paramètres de prise de vue tels que cadrage, saturation, exposition ou contraste. De telles caractéristiques, intrinsèquement attachées à la technique photographique, ne suffisent pas à faire de l’image une création originale reflétant la personnalité d’un auteur ».
On ne peut que souscrire à cette motivation, qui rappelle un arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu il y a quelques années (5 décembre 2007) à propos de photographies du Prince William d’Angleterre :
« les photographes ont eu un comportement purement passif puisqu'ils se sont bornés à installer leurs objectifs en direction du téléski afin de disposer d'une fenêtre de visé, entre les arbres, et à déclencher leur appareil à l'apparition du prince William et de Kate MIDDLETON ;
qu'ils ne sauraient donc se prévaloir d'une quelconque mise en scène, ni d'un cadrage particulier, pas plus que du choix d'un angle de vue et encore moins du moment pour réaliser les clichés litigieux dès lors que l'instant auquel ils ont déclenché leurs appareils était exclusivement commandé par l'apparition, pour quelques secondes, des personnages pris pour cible; que, en outre, il n'est pas démontré, ni même allégué, qu'ils aient ' retravaillé ' ces clichés ».
La démonstration de l’originalité d’une photographie reste donc un exercice particulièrement complexe !