L’éditeur reste tenu d’exploiter un ouvrage, malgré les mauvaises critiques.
Le contrat d’édition suscite parfois certaines tensions entre l’auteur d’un ouvrage et son éditeur, auquel il est éventuellement reproché de ne pas l’exploiter de manière suffisamment soutenue. La jurisprudence rappelle alors que l’éditeur doit faire ses meilleurs efforts pour assurer la promotion et la commercialisation du livre, et qu’il ne peut pas se retrancher derrière certaines circonstances pour s’en exonérer.
Un arrêt rendu par la Cour d’appel de Rennes le 16 septembre 2022 se place dans cette ligne jurisprudentielle, en rappelant notamment que les mauvaises critiques reçues par un ouvrage ne peuvent pas amoindrir l’obligation d’exploitation qui est celle de l’éditeur, tout en relativisant les conséquences d’une violation de cette obligation.
L’ouvrage objet du litige, intitulé « Esthétique d’un Viol », avait fait l’objet d’un contrat d’édition en 2014 entre l’auteur et les Editions Lunatiques. Le roman devait être publié en 500 exemplaires à compter de mars 2016. Mais, rapidement, l’auteur avait constaté que son oeuvre n’était plus disponible chez les libraires, ce dès après mai 2016, puisqu’elle était présentée comme épuisée chez les diffuseurs.
L’auteur avait alors assigné son éditeur en résiliation du contrat d’édition pour manquement à ses obligations tant légales que contractuelles. En défense, l’éditeur soutenait que l’ouvrage avait subi un « retard de référencement » ou été la victime de « dysfonctionnements » dans la distribution dont il n’aurait pas été responsable. Les Editions Lunatiques évoquaient également ne pas être tenues à une obligation de résultat quant au succès de l’ouvrage, lequel, en l’occurrence, aurait été mal accueilli par la critique.
La Cour, confirmant le jugement rendu en première instance, a balayé ces arguments en rappelant que, conformément à l’article L. 132-12 du Code de la propriété intellectuelle, l’éditeur est tenu d’assurer une exploitation « permanente et suivie », notamment en permettant la livraison de l’ouvrage aux diffuseurs « dans des délais raisonnables ».
Or, en l’espèce, il est apparu que l’éditeur avait bel et bien commis des fautes dans l’exploitation de l’ouvrage, en n’assurant pas suffisamment la promotion de l’ouvrage ni sa diffusion commerciale, contrairement aux usages de la profession. Plus spécifiquement, il a été constaté que l’éditeur avait fait preuve à la fois d’une mauvaise gestion de son réseau de distribution et d’un manque de diligence ayant compromis la possibilité pour le livre de trouver son public :
« Le manque de réactivité de l'éditeur dans les actions de promotion du livre, et, surtout, la désorganisation de son réseau de distribution au cours de la période suivant immédiatement la publication de l'oeuvre de M. [V], cruciale pour ses chances de succès, constituent des manquements de la société Éditions Lunatique d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l'éditeur. »
On relèvera par ailleurs que l’arrêt refuse de tenir compte du faible potentiel commercial de l’ouvrage compte tenu des mauvaises critiques reçues pour réduire l’intensité des obligations de l’éditeur :
« Si l'éditeur n'est évidemment pas le garant du succès du livre, il contracte, dès lors qu'il accepte le publier et en contrepartie de la cession que l'auteur lui consent sur ses droits, l'obligation de résultat de l'exploiter, ne pouvant ainsi s'en affranchir en invoquant le mauvais accueil de la critique, des libraires ou du public. »
Néanmoins, les mauvaises critiques peuvent être retenues pour limiter l’indemnisation de l’auteur, en l’occurrence sa perte de chance de percevoir davantage de revenus faute d’une impression en quantité suffisante. De manière intéressante, les juges ont tenu compte ici d’une mauvaise critique dans la presse littéraire (l’auteur de la chronique parlant même de « suicide commercial ») pour considérer que l’auteur n’aurait pas pu espérer des ventes supplémentaires substantielles, même si l’éditeur avait assuré son obligation de promotion et de diffusion :
« La perspective de nouveaux tirages [était] hypothétique et ne saurait être indemnisée, même sur le fondement de la perte de chance, et c'est par de pertinents motifs que les premiers juges ont alloué à M. [V] une somme de 4 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice économique, le préjudice moral consistant dans l'atteinte à l'image de l'auteur auprès des libraires et des lecteurs ayant été intégralement et exactement réparé par l'allocation d'une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts. »
En conclusion, si les faibles perspectives commerciales ne sauraient effacer l’obligation de diffusion de l’éditeur, le préjudice pour l’auteur qui se plaint d’un manque de soutien peut n’être que limité. Ce qui, dans un sens, revient à relativiser l’obligation de diffusion ou, en tout cas, à réduire les conséquences d’une violation de cette obligation.