La mention « mis en bouteille » apposée sur du vin ne peut pas être assimilée à une marque.
Naguère, il suffisait de reproduire sans autorisation la marque d’un tiers pour que la contrefaçon de marque fût constituée et sanctionnée. C’était facile, basique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. La simple reproduction d’un signe pourtant protégé peut être licite et le titulaire de la marque peut ne pas pouvoir s’en plaindre.
Car, désormais, sous l’influence de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, il est nécessaire que la reproduction du signe crée une confusion dans l’esprit du public quant à l’origine du produit ou du service sur lequel elle est apposée.
Les décisions de la Cour s’attachent en effet systématiquement à caractériser la perception que le public a de l'usage du signe et au risque - ou non - de confusion ou d'association qu'il est susceptible d'engendrer quant à l'origine des produits et services.
Cette jurisprudence et cette analyse ont été officiellement consacrées dans la loi par la réforme de 2019 ayant modifié la rédaction des textes applicables à la contrefaçon de marque.
Mais, en réalité, cette solution n’est pas nouvelle et un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 mai 2024, rendu sous l’empire du droit antérieur à la réforme, l’indique clairement : sans atteinte à la garantie d’origine, alors l’usage d’un signe protégé ne peut pas donner lieu à une action en contrefaçon.
L’affaire qui a suscité cet arrêt concernait une marque déposée pour des produits viticoles. Le titulaire de la marque reprochait à un tiers d’avoir apposé sur ses bouteilles une mention « mis en bouteille par », suivi des nom et prénom du viticulteur, le nom en question correspondant à la marque déposée.
Par un arrêt du 8 juin 2022, la Cour d’appel de Colmar avait débouté le demandeur à l’action en contrefaçon, au motif que la mention « mis en bouteille par », indiquée en petits caractères sur le contenant, n’était prétendument pas de nature à créer une confusion dans l’esprit du public quant à l’origine du vin.
Un pourvoi en cassation fut formé, invoquant précisément ce risque de confusion. Selon le moyen, « lorsque l'usage fait du signe par le tiers est susceptible d'être interprété par le public visé comme désignant ou tendant à désigner le tiers comme l'entreprise de provenance des produits et est de nature à accréditer l'existence d'un lien matériel dans la vie des affaires entre ces produits et leur entreprise de provenance », alors il y a contrefaçon.
Cet argumentaire était plutôt sensé. Rien de ce qui y est énoncé est erroné. Mais tout est question d’appréciation in concreto. Et, en l’espèce, la Cour de cassation valide le raisonnement tenu par la Cour d’appel, en retenant que celle-ci avait justifié sa décision au vu des faits de l’affaire :
« cette mention [« mis en bouteille par »] n’ayant pas pour objet de distinguer les produits concernés, elle n'était pas susceptible d'être comprise par le public comme tendant à désigner l'entreprise de provenance du vin ni de nature à porter atteinte à la fonction d'origine de la marque fondant l'action en contrefaçon ».
Il reste possible de ne pas être parfaitement d’accord avec ce raisonnement, peut-être un peu trop strict. Car un consommateur, amateur ou non de vin, qui recherche des productions d’un domaine particulier, ne peut-il pas être trompé par la mention « mis en bouteille par » suivie du nom du domaine en question ?
Il s’agit certes avant tout d’un problème d’homonymie, mais le droit des marques confère un monopole sur un signe, qui peut consister en un patronyme. Et, dans ce cas, c’est le titulaire de la marque qui devrait l’emporter, quitte effectivement à ce que le tiers qui porte le même nom doive renoncer à l’utiliser pour désigner des produits ou des services.
La motivation de l’arrêt d’appel repose ici sur un considérant spécifique, tiré du fait que la mention « mis en bouteille » procèderait d’une obligation légale et ne désignerait pas un produit :
« [la mention] n’a pas pour objet de distinguer le produit lui-même mais uniquement la personne qui a la qualité d'embouteilleur, ce qui constitue une mention obligatoire de l'étiquetage des bouteilles de vin, de sorte qu'elle ne constitue pas une marque. »
Il n’est pas certain que cette affirmation soit tout à fait exacte, en tout cas vis-à-vis d’un consommateur non spécialiste des produits vinicoles. Pour la contester, il aurait été utile, par exemple, de procéder à une enquête d’opinion.
Mais, en l’état de la jurisprudence, voici ce qu’il faut retenir : la mention « mis en bouteille » ne peut pas être assimilée à une marque. Il s’agit bien d’une confirmation que la marque n’est plus un droit d'occupation conférant à son titulaire un avantage concurrentiel.