Nullité d’une requête en saisie-contrefaçon pour défaut de signature de l’avocat postulant
Le Tribunal judiciaire de Marseille a rendu le 11 juillet dernier une décision intéressante en matière de contrefaçon de logiciel. Si le jugement contient plusieurs enseignements, notamment en ce qui concerne la charge de la preuve qui pèse sur le demandeur à l’action en contrefaçon, penchons-nous sur la question de la validité de la requête en saisie-contrefaçon.
Dans cette affaire, une société Infografix, basée à Lille, s’est vu commander le développement d’une solution informatique spécifique pour un client spécialisé dans le traitement des eaux usées. La solution consistait en plusieurs logiciels pour serveur et des applications pour iPad. Ne parvenant pas à obtenir le règlement de ses factures, la société Infografix avait assigné son client en résolution du contrat et paiement de dommages et intérêts devant le Tribunal de commerce de Toulouse.
Mais, parallèlement, la société Infografix avait aussi engagé une action devant le Tribunal judiciaire de Marseille (à l’époque « Tribunal de grande instance ») en contrefaçon de droits d’auteur, invoquant le fait que, faute d’avoir réglé l’intégralité du prix, son client ne pouvait pas valablement exploiter la solution informatique développée.
Afin de tenter de matérialiser la preuve des actes de contrefaçon reprochés, la société Infografix avait fait préalablement réaliser des saisies-contrefaçon sur la base d’ordonnances rendues par le Président du Tribunal de Marseille. Et c’est ici que se nouait l’une des difficultés du dossier.
En effet, la société défenderesse soulevait la nullité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon en tirant argument d’un prétendu défaut de signature des requêtes soumises au Président du Tribunal. La société invoquait à la règle tirée de l’article 846 du Code de procédure civile, selon laquelle une telle requête doit être signée par un avocat postulant inscrit au barreau du ressort du tribunal. Or, en l’occurrence, les signatures présentes sur les requêtes ne semblaient pas correspondre à celle de l’avocat postulant.
En l’occurrence, le Tribunal a constaté que la société avait fait procéder au dépôt de deux requêtes distinctes devant le Président du Tribunal de grande instance de Marseille, sur lesquelles figurait à la fois le nom d’un avocat plaidant et celui d’un avocat postulant. Les deux requêtes étaient bien signées, mais visiblement pas de la même personne et ne portaient pas, ni pour l’une, ni pour l’autre, l’indication du nom du signataire. Elles n’étaient pas non plus datées.
L’avocat de la société demanderesse reconnaissait qu’il n’était pas le signataire des requêtes mais soutenait qu’elles avaient chacune été signées par ses collaboratrices, lesquelles bénéficiaient d’une délégation de signature. Il fournissait des attestations des avocates, indiquant avoir déposé les requêtes au greffe du Tribunal.
Or le Tribunal a constaté que la signature figurant dans l’une des attestations était « très différente » de celle apparaissant sur la requête, ce qui était évidemment problématique. En outre, de manière plus générale, les juges ont reproché aux attestation d’être trop « vagues », notamment en ce qu’elles n’indiquaient pas expressément qui était le signataire des requêtes.
Le Tribunal en a conclu que les deux requêtes étaient affectées d’une irrégularité de fond au sens de l’article 117 du Code de procédure civile. Une telle nullité, qui procède d’un défaut de capacité, ne suppose pas la preuve d’un grief (contrairement à une nullité de forme).
Il en résulte que les saisies-contrefaçon opérées sur la base d’ordonnances rendues au visa de deux requêtes affectées de nullité étaient elles-mêmes nulles.
On relèvera également que le procès-verbal de signification d’une des ordonnances autorisant la saisie-contrefaçon était lui-même affecté d’un vice, puisqu’il visait de manière erronée les articles 496 et 497 du Code de procédure civile et ne comportait aucune mention sur la possibilité pour la société saisie de solliciter la mainlevée des opérations ou le cantonnement de leurs effets.
Le Tribunal rappelle à cet égard que le recours prévu par la loi en matière de saisie-contrefaçon est spécifique en raison du caractère exorbitant des pouvoirs accordés au requérant. C’est l’article L. 332-2 du Code de la propriété intellectuelle qui précise les modalités du recours possible, l’article 497 du Code de procédure civile n’étant pour sa part pas applicable aux ordonnance de saisie-contrefaçon.
Enfin, de manière très intéressante également, le Tribunal a rejeté les demandes formées au titre de la contrefaçon, en l’absence de production du code source par la société Infografix, plaçant les juges dans l’impossibilité d’apprécier les actes invoqués :
« La demanderesse se contente de décrire les spécificités de ce logiciel sans produire les codes sources ; elle ne fournit pas le logiciel argué de contrefaçon et le Tribunal n’est pas en mesure de déterminer les contours de l’oeuvre revendiquée ni ses caractéristiques. Il ressort de ces éléments que l’originalité du logiciel n’est pas démontrée. »
Cette solution n’est pas nouvelle et mérite d’être à nouveau soulignée.