L'action en contrefaçon de droit d'auteur doit être engagée dans les 5 ans qui suivent la connaissance des faits litigieux.
Le Tribunal judiciaire de Bordeaux a rendu le 2 juillet 2024 une décision très intéressante en matière de contrefaçon de logiciel. Son apport tient en deux points principaux, à savoir la potentielle responsabilité d'un client utilisateur d'un logiciel contrefaisant et le délai pour agir en contrefaçon.
Initialement, l'affaire opposait deux sociétés, la première, MaPlace, revendiquant des droits de propriété intellectuelle sur un logiciel de billetterie, prétendument exploité de manière illicite et concurrente par une seconde, Enkiea Solutions, créée par d'anciens salariés de la première.
En vertu d'un arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux du 6 juin 2017, il fut jugé que le logiciel de vente de billets "INANNA" de la société Enkiea Solutions constituait bien la contrefaçon du logiciel "Simple Clic" de la société MaPlace et la société commercialisant "INANNA" fut condamnée à de lourds dommages et intérêts.
C'est alors que la société MaPlace ordonna aux anciens clients de la société Enkiea Solutions de cesser l'utilisation du logiciel contrefaisant dont ils étaient licenciés. Parmi ces anciens clients figurait notamment l'Office du Tourisme de Bordeaux, qui ne procéda toutefois à la désinstallation du logiciel "INANNA" qu'après une ordonnance de référé l'y enjoignant, le 28 mai 2018. MaPlace engagea alors ensuite une action en contrefaçon de logiciel au titre de l'utilisation du programme contrefaisant entre 2013 et 2018, procédure dans le cadre de laquelle elle réclamait près de 3 millions d'euros de dommages et intérêts.
Cette procédure, et la décision qui en résulte, ont le mérite de rappeler que la contrefaçon peut être potentiellement commise par des clients d'un éditeur de logiciel, simples utilisateurs. En effet, lorsqu'un logiciel fait l'objet d'une installation sur des machines dans les locaux de l'utilisateur, il est possible de caractériser des actes de reproduction et représentation du programme, au mépris des droits patrimoniaux d’auteur.
Cela dit, de plus en plus les logiciels ne sont plus installés sur des machines en local, mais sont accessibles à distance, en SaaS (software as a service). Une telle utilisation à distance est-elle suffisante pour caractériser une contrefaçon ? La question est posée.
Surtout, dans cette affaire, le Tribunal de Bordeaux a eu l'occasion de rappeler que l'action en contrefaçon était soumise à une prescription quinquennale et que, contrairement à une jurisprudence ancienne, le délit ne constituait pas (plus) une infraction continue : l'action doit être engagée dans les cinq ans qui suivent la connaissance des faits délictueux, c'est-à-dire de la date à laquelle le titulaire des droits a connaissance de l'utilisation contrefaisante de son programme.
Or le Tribunal n'a pu ici que débouter la société MaPlace de ses prétentions, au motif que l'action au fond contre l'Office du Tourisme de Bordeaux n'avait été engagée que plus de cinq ans après sa connaissance de l'utilisation du logiciel "INANNA". En effet, il a été démontré par l'Office que la société MaPlace avait connaissance de cette utilisation dès 2010, ce qui résultait... des termes mêmes de l'assignation délivrée initialement contre la société Enkiea Solutions :
"Il ressort de la lecture de l’assignation délivrée le 10 novembre 2010 par la SARL Ma Place à la SARL ENKIEA Solutions et aux consorts [L] que, dans le cadre de ce litige, dans lequel elle revendiquait la titularité de droits d’auteur sur les logiciels SimpleClic et GuicheNet, et dénonçait une utilisation contrefaisante de ces logiciels par la SARL ENKIEA, la société Ma Place avait parfaitement connaissance de l’utilisation par l’Office de Tourisme des produits distribués par la société ENKIEA."
Cette connaissance, évoquée par la société MaPlace elle-même dans son acte initial, a permis à l'Office du Tourisme d'invoquer les dispositions de l'article 2224 du Code civil, selon lequel l’action de droit commun se prescrit par cinq ans à compter du jour où le titulaire des droits bafoués a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, y compris s'agissant de l'action en réparation du préjudice subi par la violation de droits d'auteur.
Ainsi, selon le jugement :
"le délai de prescription de l’action civile en réparation des atteintes au droit d’auteur commence à courir à partir de la commission de la contrefaçon ou du jour où le titulaire en a eu connaissance, même si la contrefaçon s’inscrit dans la durée. La prescription quinquennale était donc acquise à l’égard de l’Office de Tourisme, au jour de l’assignation le 8 juin 2018."
Cette solution est importante. Selon les juges, la répétition de l’utilisation des logiciels contrefaisants dans le temps n’est pas de nature à reporter le point de départ de la prescription.
Au vu de cette décision, il apparaît essentiel d'engager des poursuites le plus tôt possible et en tout cas dans les cinq ans qui suivent la connaissance des actes de contrefaçon, même si on comprend ici que la société MaPlace avait fait le choix de d'abord tenter d'obtenir la condamnation définitive, une fois tous les recours épuisés, du principal contrefacteur avant d'aller rechercher la responsabilité des clients de ce dernier.
Cette stratégie n’était pas absurde. Mais en réalité il aurait été préférable d’assigner puis de solliciter un sursis à statuer, dans l’attente d’une décision définitive dans le litige principal.