Mildef Group contre Mildef IT : vraisemblance de la contrefaçon de marque reconnue en référé... mais sans sanction.
Les grands événements publics suscitent souvent leur lot de contentieux de droits de propriété intellectuelle, comme le salon Maison & Objet, et ce fut le cas du salon de matériel militaire Eurosatory qui vient de se dérouler du 17 au 21 juin derniers. L'affaire en question illustre au demeurant la capacité du Tribunal judiciaire de Paris à trancher rapidement des litiges en présence d'une urgence manifeste.
L'affaire opposait la société de droit suédois Mildef Group à la société de droit malaisien Mildef International Technologies (ou Mildef IT), ainsi que la société Coges, organisatrice du salon.
La société Mildef Group est spécialisée dans la conception de systèmes de communications destinés aux armées. Elle est titulaire d'une marque de l'Union européenne "MILDEF" du 4 juillet 2023, visant notamment des produits de la classe 12.
Mildef Group reprochait à Mildef IT d'être sur le point de faire la promotion, sur le salon Eurosatory organisé par Coges, d'éléments de matériel militaire sous la marque "MILDEF", en prétendue violation de ses droits de propriété intellectuelle. Elle a été autorisée à assigner Mildef IT et Coges en référé à heure indiquée (ex-heure à heure) pour une audience du 11 juin 2024, soit quelques jours seulement avant la tenue du salon.
Il est intéressant, tout d'abord, de relever que la demande de renvoi formulée par la société Coges a été rejetée : au vu de l'urgence, un renvoi aurait effectivement pu apparaître inapproprié.
En référé, le Président du Tribunal judiciaire de Paris devait vérifier si l'atteinte aux droits de la propriété intellectuelle de la société Mildef Group sur sa marque "MILDEF" était "vraisemblable" et, dans cette hypothèse, quelles devaient en être les conséquences. La société demanderesse réclamait l'interdiction du signe "MILDEF" par la société Mildef IT sur le salon, ainsi que l'arrêt du référencement de la société Mildef IT dans l'annuaire des exposants au salon, édité par Coges.
La solution rendue le 13 juin 2024, soit seulement deux jours après l'audience, est en cela assez surprenante.
D'une part, le juge reconnaît la vraisemblance de l'atteinte à la marque "MILDEF" déposée par la demanderesse. En effet, le juge retient que le signe "MILDEF" litigieux est identique à la marque "MILDEF" et qu'il est exploité pour commercialiser des véhicules blindés militaires, à savoir des produits "identiques" aux produits visés en classe 12 par la marque utilisée à l'appui de l'action. Sur ce point, il est difficile de voir une identité entre les véhicules militaires et les "parties et garnitures à utiliser en rapport avec les véhicules terrestres et véhicules blindés". Il semble plutôt qu'il s'agisse d'une similitude. Soit.
Le Président en déduit que "la vraisemblance de l'action en contrefaçon est démontrée" et que "les sociétés Mildef IT et Coges ont engagé leur responsabilité du fait de la vraisemblance de la contrefaçon de la marque semi-figurative de l'Union européenne MILDEF".
D'autre part, cependant, le juge n'en tire aucune conséquence pratique. En effet, il apparaît que la société Mildef IT utilisait le signe "MILDEF" au moins depuis octobre 2022. En outre, le juge considère que la société Mildef Group ne ferait état d'aucun "préjudice irréparable" en conséquence de la contrefaçon. Enfin, la société Mildef IT aurait déjà participé à des salons militaires aux côtés de Mildef Group quelques semaines plus tôt.
Le juge en déduit que "les mesures réclamées par la société Mildef Group sont disproportionnées au regard de la vraisemblance de l'atteinte à sa marque", de sorte que ses demandes ont été rejetées. Bien plus, Mildef Group est condamnée à payer 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à chaque société défenderesse.
Voici donc une décision curieuse, car l'atteinte vraisemblable à la marque, et l'engagement de la responsabilité des défendeurs, ne donne lieu à aucune conséquence. On peut s'interroger sur la reconnaissance de cette "atteinte vraisemblable", alors que, par exemple, l'utilisation du signe "MILDEF" par Mildef IT dès 2022, soit antérieurement au dépôt de la marque de la demanderesse, aurait pu conduire le juge à considérer que l'atteinte à la marque n'était pas vraisemblable.
De même, pourquoi l'action en contrefaçon en référé serait-elle conditionnée à la preuve d'un "préjudice irréparable" ? Il semble qu'il s'agisse ici d'une maladresse d'écriture.
Cette solution est d'autant plus surprenante que la jurisprudence n'hésite plus à considérer qu'il se déduit, quasi automatiquement, un préjudice d'actes de contrefaçon de marque, s'agissant d'une atteinte au droit de propriété, de même que d'actes de concurrence déloyale et parasitaire. Il est donc curieux que, dans le cas présent, l’engagement de la responsabilité ne suscite aucune mesure de réparation.