L’exposition d’une oeuvre protégée consiste-t-elle en un acte de contrefaçon ?

Par un arrêt du 18 mars 2025, la Cour d’appel de Versailles a rendu une décision intéressante relative à la délimitation de la notion de contrefaçon.

Chacun sait que la contrefaçon est constituée lorsqu’une oeuvre protégée fait l’objet d’un acte de reproduction ou de représentation sans le consentement de l’auteur ou d’un ayant-droit. Selon l’article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle, la reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’oeuvre sur un support. Selon l’article L. 122-2 du même Code, la représentation de l’oeuvre consiste pour sa part dans sa communication au public par tout procédé.

Ainsi, le fait de filmer une oeuvre et de diffuser les images à la télévision ou sur internet peut constituer un acte de contrefaçon s’il n’est pas autorisé par le titulaire des droits.

Qu’en est-il lorsque l’oeuvre est simplement montrée ? Lorsqu’elle est exposée au public ? S’agit-il d’un cas de contrefaçon ? Telle est précisément la question qui était soumise à la Cour.

L’affaire, elle-même particulièrement originale, concernait une oeuvre monumentale constituée d’une boule à facettes géante, intitulée « La Maîtresse de la Tour Eiffel ».

À l’origine, cette boule de près de 8m de diamètre avait été conçue et utilisée dans le cadre de l’événement « Nuit blanche » à Paris en 2009. Elle avait été hissée dans le ciel, à 50m du sol, grâce à une grue placée dans l’enceinte du Jardin du Luxembourg. Plusieurs projecteurs placés au sol avaient déployé des faisceau lumineux sur la boule, qui avait ainsi éclairé le Sénat et rendu le ciel parisien étoilé.

Cette immense boule est l’oeuvre d’un artiste plasticien d’origine franco-canadienne, célèbre pour ses détournements d’objets du quotidien. En l’occurrence, il avait confié la réalisation de la boule à une société Acoustique Française, qui avait assumé tous les frais de conception et de fabrication, en contrepartie du droit de propriété matérielle sur l’objet.

Et, en tant que propriétaire de la boule, la société Acoustique Française l’utilisait lors d’événements divers et variés, notamment dans des festivals musicaux comme Solidays ou Les Vieilles Charrues, ainsi que lors de la Fête des Lumières à Lyon et, en 2019, au sein des Galeries Lafayette à Paris.

L’auteur de la boule s’était alors plaint de l’utilisation de l’objet dans ces conditions et avait engagé une procédure afin de tenter d’obtenir la condamnation de la société Acoustique Française pour contrefaçon de droit d’auteur.

En première instance, il avait été débouté de la plupart de ses demandes, jugées prescrites. Les seules utilisations encore répréhensibles tenaient à la fois à l’exposition de la boule aux Galeries Lafayette et en des photographies et une vidéo de la boule sur le site internet de la société Acoustique Française.

Il convient de relever qu’en première instance, l’oeuvre avait été reconnue originale par les juges et que ce point n’était plus contesté en appel.

Le cas le plus simple ici consistait dans les photographies et la vidéo de la boule sur le site. Comme en première instance, les juges de la Cour ont considéré que les photographies de la boule prise isolément ne constituaient pas dans la reproduction ni la représentation de l’oeuvre, laquelle procède d’un ensemble de caractéristiques :

« l’oeuvre était caractérisée par une association d'éléments évocatrice d'un 'phénomène céleste', l'originalité résultant du détournement de l'utilisation classique d'une boule à facettes et de son positionnement en surplomb associé à la puissance des éclairages, l'ensemble modifiant la perception de l'environnement. L'oeuvre n'est originale que dans sa relation avec un décor. »

En revanche, une vidéo de la conception et la mise en place de la boule a été jugée contrefaisante :

« la vidéo, qui montre les étapes de la construction de la boule à facettes, son installation dans les jardins du Luxembourg et les effets de cette boule sur les bâtiments environnants lors de l'événement Nuit Blanche, constitue une reproduction non autorisée de l'oeuvre protégée. »

Quid alors de l’exposition de la boule aux Galeries Lafayette ? A cet égard, l’auteur soutenait que c’était bien son oeuvre qui était reproduite, à savoir la boule, mais aussi la grue et les projecteurs, de même que l’effet sur le paysage.

Mais la Cour ne l’a pas suivi dans ce raisonnement. Selon elle, au sein du grand magasin,  la boule à facette était exposée dans une « fonction usuelle d’agrément », d’une manière différente de son utilisation en tant qu’oeuvre dans le cadre de la « Nuit blanche » :

« l’effet produit par la boule à facettes sur l'environnement ne pouvait être le même, alors que M. [C] soutient lui-même avec force que ce qui fait l'originalité de son oeuvre ' La maîtresse de la Tour Eiffel' réside précisément dans l'impact de la boule et de son éclairage sur le perception de l'environnement. »

En somme, quoique géante, c’était bien simplement une boule à facettes qui était exposée et non l’oeuvre elle-même. Le raisonnement peut paraître un peu court.

Et, en l’espèce, la société Acoustique Française a été condamnée à payer à l’artiste une somme substantielle, 60.000 euros, au titre de l’utilisation de la vidéo sur son site, ce qui semble particulièrement élevé… étant rappelé que la boule appartient à la société, qui l’a conçue et qui ne peut donc pas communiquer sur sa propriété.