Dans le cadre d’une action en contrefaçon de marque, ne vous contentez pas de produire les extraits du site de l’INPI
La société Speed Rabbit Pizza, enseigne bien connue de la restauration rapide, est titulaire de plusieurs marques « SPEED RABBIT PIZZA » déposées notamment pour viser les services de la classe 43, c’est-à-dire les services de restauration. Elle a cherché à s’opposer à l’utilisation par un concurrent de l’enseigne « SPEED RAPIDO PIZZA », dont elle considérait qu’il s’agissait d’une contrefaçon de ses marques. Elle lui reprochait également des actes de concurrence déloyale.
L’affaire est intéressante car, après avoir perdu en première instance, Speed Rabbit Pizza a obtenu gain de cause en appel, par un arrêt du 4 juillet 2017 de la Cour d’appel de Paris. Si cette solution n’est guère surprenante au regard des ressemblances difficilement contestables entre les signes« SPEED RABBIT PIZZA » et « SPEED RAPIDO PIZZA » et l’identité des services en cause, ce sont les raisons de l’échec devant le Tribunal de grande instance qui attirent l’attention, alors même que Speed Rapido Pizza n’avait pas constitué d’avocat pour se défendre.
En première instance, Speed Rabbit Pizza invoquait évidemment ses droits sur les marques du même nom, mais s’était contentée de produire des extraits de la base de données de l’INPI, au lieu de communiquer des copies des véritables certificats d’enregistrement des marques. Selon le Tribunal, « la société SPEED RABBIT PIZZA ne verse au débat pour établir ses droits de marque que des fiches INPI et non des certificats de marque de sorte qu'elle est irrecevable à agir, les fiches INPI qui sont de simples documents d'information facilement modifiables étant totalement insuffisants ». En appel, Speed Rabbit Pizza continuait de ne verser aux débats que les extraits de fiches INPI, mais, heureusement pour elle, produisait cette fois également une copie des certificats de renouvellement des marques invoquées. La Cour a donc jugé l’appelante recevable à agir en contrefaçon.
Un autre problème probatoire avait également empêché Speed Rabbit Pizza d’obtenir gain de cause en première instance au titre d’actes de concurrence déloyale. La société soutenait que son concurrent avait imité les références visuelles de son réseau de franchise et fondait ses demandes sur un constat d’huissier. Cependant, de manière inédite et pour le moins surprenante, le juge lui avait reproché de ne pas avoir produit ce constat dans le cadre d’une procédure précontentieuse de conciliation.
Selon le jugement, « le procès-verbal de constat du 17 juin 2015 qui montre des clichés de l'intérieur de la boutique sans autorisation du propriétaire des lieux, n’a pas été dénoncé à celle-ci dans le cadre d'une tentative de conciliation prévue par les dispositions de la loi du mars 2015, qui n'a donc pas été effectuée ». La décision n’est pas très claire quant aux conséquences directe de cette absence de dénonciation et de tentative de conciliation, mais en tout état de cause la société Speed Rabbit Pizza a perdu sur cet autre fondement.
La Cour a compris pour sa part que le juge de première instance avait écarté ce chef de demande en considérant « que le constat d'huissier du 17 juin 2015 montrant des clichés de l'intérieur de la boutique SPEED RAPIDO PIZZA sans autorisation du propriétaire des lieux n'avait pas été dénoncé dans la tentative de conciliation prévue par les dispositions de la loi de mars 2015 ».
C’est donc de manière assez logique que la Cour a infirmé le jugement sur ce point également, en indiquant que « l’huissier a pris des photos depuis la voie publique, que la loi du 11 mars 2015 n'édicte aucune sanction à l'absence de justification des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, sauf la possibilité pour le juge de proposer aux parties une mesure de conciliation ou médiation, non opportune en l'espèce en raison de la non comparution de la partie intimée ». La Cour a ainsi considéré que le constat était valable, même en l’absence de dénonciation.
Il ne pouvait en être autrement car il n’existe aucune règle contraignant une partie à communiquer à son futur adversaire l’ensemble des éléments de preuve dont il dispose avant même que le Tribunal ne soit saisi. Un constat d’huissier est d’ailleurs un document non contradictoire et il n’existe aucune obligation de le dénoncer à la partie adverse, au contraire de ce qui est prévu en matière de saisie-contrefaçon, par exemple.
Et dans la mesure où l'huissier n'est pas entré dans le restaurant et s'est contenté de prendre des photographies depuis la voie publique, aucune autorisation du propriétaire des lieux n'était nécessaire.
Sur la base de ce constat, le même qui avait été écarté en première instance, les juges d’appel ont estimé que Speed Rapido Pizza utilisait effectivement les mêmes références visuelles dans ses devantures et à l'intérieur des boutiques, suscitant un risque de confusion dans l’esprit du public, de sorte que les actes de concurrence déloyale étaient constitués.
La morale de cette affaire est qu’il est absolument essentiel de se constituer la preuve des faits que l’on évoque au soutien de demandes indemnitaires et qu’il convient donc de prendre garde aux différents éléments produits aux débats. En l’occurrence, le fait que Speed Rabbit Pizza soit une enseigne bien connue à Paris n’a pas eu d’influence sur le juge de première instance, qui s’est contenté - comme le prévoit la loi - de s’en tenir aux faits et aux preuves qui lui étaient soumis.