Pas d’atteinte au droit d’auteur pour le détournement parodique d’une publicité pour le foie gras
Par un arrêt du 13 mars 2020, la Cour d’appel de Paris a infirmé une ordonnance de référé qui avait interdit à l’association L214 de diffuser un spot critiquant les méthodes de production du foie gras, qui reposait sur le détournement d’une publicité en faveur de ce produit.
A l’origine, le Comité national interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (CIFOG) avait produit une campagne télévisée en faveur du foie gras de canard, prenant la forme d’un spot de 15 secondes mettant l’accent sur la convivialité et surmontée de la signature suivante : « Le foie gras, exceptionnel à chaque fois ».
L’association L214, qui lutte en faveur de la protection des animaux, avait détourné cette campagne et produit un spot qui commençait par la vidéo du CIFOG, sur 6 secondes, puis enchaînait sur des images de gavage de canards et de broyage de canetons (sic), et se terminait par le slogan suivant : « Le foie gras, exceptionnellement cruel à chaque fois ».
Le CIFOG avait assigné L214 en référé devant le Président du Tribunal de grande instance de Paris pour tenter d’obtenir l’interdiction du spot, diffusé sur Twitter. Le CIFOG évoquait à la fois un abus de la liberté d’expression et une atteinte à ses droits. Aucun argument n’était toutefois fondé expressément sur l’atteinte aux droits d’auteur.
En référé, le juge avait reconnu l’existence d’un trouble manifestement illicite sur la base, curieusement, d’une atteinte aux droits de la propriété littéraire et artistique (l’argument semblait donc sorti de nulle part). Il avait fait droit aux demandes du CIFOG et interdit la diffusion du spot incriminé sous astreinte de 200 euros par jour d’infraction constaté.
L214 a interjeté appel et l’arrêt de la Cour inverse totalement le litige.
L’arrêt évoque tout d’abord l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme pour rappeler que chacun a droit à la liberté d’expression et que ce principe n’est limité que par des « besoins sociaux impérieux ». Il relève alors que l’association L214 est en droit de dénoncer les modes de fabrication du foie gras, « même si ces messages peuvent avoir pour but ou pour conséquence d’inciter le consommateur à ne plus acheter de foie gras ».
Or, s’agissant de l’atteinte aux droits d’auteur, la Cour l’évacue sans ménagement. Elle relève qu’il n’était pas invoqué dans l’acte introductif d’instance du CIFOG et que ses écritures d’appel se contentent, sur ce point, de reprendre l’argumentation du juge des référés. Il est donc possible d’en déduire que si l’intimé avait fait preuve de davantage de sérieux sur ce point, la solution eût été autre.
Cela dit, selon la Cour, si les 6 premières secondes du film sont effectivement la reprise à l’identique de la publicité du CIFOG et que le plan final est également le même, seul le slogan ayant été modifié, il convient d’établir un équilibre entre la liberté d’expression et le droit d’auteur.
Sur ce point, la Cour se réfère à l’exception de parodie prévue à l’article L. 122-5 4° du Code de la propriété intellectuelle, pour en tirer la conclusion, non pas que cette exception devrait trouver à s’appliquer, mais qu’il n’existerait pas en l’espèce une « atteinte incontestable au droit d’auteur ».
Ainsi, la Cour estimé qu’il n’est pas « justifié avec l’évidence requise en référé, ni d’une violation d’un droit, ni d’un dommage imminent caractérisant un besoin social impérieux de porter atteinte à la liberté d’expression de l’association L624 (sic…), dont l’activité porte sur la question du bien-être animal ».
L’arrêt peut surprendre le puriste du droit d’auteur dans la mesure où l’exception de parodie est strictement encadrée par le Code et la jurisprudence qui l’applique. En effet, le titulaire des droits d’auteur ne peut interdire « la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ». Mais, traditionnellement, la parodie se situe dans un contexte humoristique : il s’agit de faire rire ou sourire aux dépens d’autrui. En l’espèce, l’humour ne semblait pas particulièrement évident.
Il est vrai néanmoins que l’exception de parodie a pu être utilisée dans des contextes similaires, lorsqu’il s’agit de dénoncer des activités ou des comportements, notamment en matière de droit des marques, lorsqu’il n’existe pas de risque de confusion entre le titulaire de la marque et l’auteur de la parodie. Cette décision (de référé) s’ajoute donc à l’édifice jurisprudentiel opposant droits de propriété intellectuelle et liberté d’expression.